QR Code, street art, blog, interventions radios : la RaspouTeam crée la sensation avec des idées retoublement simples. Interview. La Commune de Paris est un journal, entre agit-prop et webdocumentaire en temps réel, d’un genre nouveau, simple et redoutable, signé du collectif Raspou Team. Ce dernier est composé de trois jeunes hommes anonymes (on va comprendre pourquoi), dont les âges additionnés atteignent à peine celui de la retraite. Ça tombe bien, le Raspou Team n’est pas du genre à baisser la garde et les yeux. Il serait plutôt du genre inventif, en avant, et à l’affût. Du côté des vaincus magnifiques, et des communards héroïques, version open source et web pour tous.
Depuis quelques jours, donc, c’est la guerre à Paris. Et depuis quelques jours, le Raspou Team allie la grande Histoire et les petits smartphones, mixe les archives et l’actualité du moment, brouille l’espace et le temps. Quarante cinq articles, et autant d’interventions, sont prévus sur les lieux mêmes où l’histoire s’est déroulée.
La Commune de Paris a un but, et il est atteint : « ne pas laisser les outils (narratifs) aux vendeurs de lessive ». Ni le webdocumentaire dans des codes que d’aucuns voudraient déjà figer. Au front, camarades et chapeau bas.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la genèse de La Commune de Paris ?
On s’intéresse à la Commune depuis longtemps, et c’était le seul sujet pour lequel nous avions rédigé deux fiches dans notre précédent projet Désordres Publics. Pour celui sur La Commune, on voulait développer en détail un seul thème, et la Commune s’y prêtait parfaitement. Et puis l’anniversaire des 140 ans, et la particularité de la Commune (ça se déroule sur plus de 2 mois) nous donnait l’occasion de tester la dimension temporelle, que l’on avait pas considérée dans Désordres Publics.
Dans ce projet, des informations sur un événement marquant (textes, photos et vidéos) sont rendues disponibles à l’endroit précis où cet événement a eu lieu, par le biais d’un QR code. Pour la Commune, on reprend le même principe, sauf que les événements apparaissent le jour même (avec 140 ans d’écart bien sûr). Ainsi, on traite du sujet dans son déroulement plus que d’en faire un événement ponctuel.
Les QR codes donnent accès à un article du Journal Illustré de la Commune qui raconte l’événement comme s’il venait de se produire, mais avec le contenu multimédia qu’on attend aujourd’hui d’un support internet d’information (texte, images, audio, vidéo). C’est une autre façon d’entretenir le flou entre hier et aujourd’hui, en permettant de suivre une révolution d’il y a 140 ans en “temps réel”, avec les outils actuels.
Ce flou est renforcé par le street art qui illustre chacun des articles. Pour l’utilisateur internet ça concrétise le lien avec aujourd’hui, et pour celui qui lît l’article en étant face au street art, ça souligne le fait que ces événements ont eu lieu dans Paris.
Étant désormais bien loin de Paris, je ne puis vérifier que vos photos d’affichage sauvage (place de La Bastille, place de la Concorde, rue d’Aboukir) sont réelles ou non. Mais tout semble indiquer qu’elles le sont et, d’ailleurs, je vous croirais sur parole. Quelles sont vos intentions en mariant ainsi street-art, technologie QR et web ?
Oui les photos sont authentiques, la colle est encore humide sur certaines ! Cela fait longtemps qu’on s’intéresse au travail d’Ernest Pignon Ernest ou de Banksy, deux artistes qui ont travaillé sur le lien entre leur intervention dans la rue, et le lieu où elle est réalisée. Ce sont nos principales influences. On cherche à s’inscrire dans ce mouvement, en l’enrichissant par l’utilisation des outils modernes qui sont à notre disposition.
Et puis on appartient à la génération qui a découvert Internet à l’adolescence ; pour nous, c’est un espace de liberté et d’expression très important. Toute une culture indépendante est diffusée par internet, on a accès à des productions de très bonne qualité et ce gratuitement. Ce qu’on essaye de prouver, c’est qu’il n’y a pas que sur le net que ce type de démarche est intéressante.
Le collectif veut proposer un travail abouti, de qualité, et surtout gratuit. C’est évidemment une invitation à faire de même, à se saisir de ce qu’on a sous la main et expérimenter avec. On pourrait considérer la rue comme un réseau Open Source, où chacun apporte ses solutions, et les élabore ensuite collectivement. Les technologies comme les QR codes, le web mobile ou la vidéo sont désormais accessibles au grand public. On veut montrer qu’on peut facilement se les réapproprier et en faire un usage personnel, les détourner pour qu’elles servent un discours critique. On ne va pas laisser ces outils aux vendeurs de lessive !
Votre idée, c’est surtout la confrontation, non ? Celle du passé avec le présent ? Du fond avec la forme ?
Disons que pour la Commune de Paris, on cherche à brouiller les frontières entre le temps et l’espace. C’est plus ce flou qui nous intéresse, le fait de mettre sur le même plan ce qui est, et ce qui pourrait être ou ce qui a été écarté. Le présent c’est un ordre établi, mais ce n’est pas le seul possible.
Votre œuvre La Commune de Paris apparait, en creux, comme un hommage à… la presse écrite. Vous écrivez : « La forme du journal s’est imposée [à vous] par sa cohérence avec le contexte de la France du XIXème siècle, car la presse est alors le seul média qui permet la diffusion d’idées nouvelles ». Avez vous conscience que vous parlez d’un mourant (la presse écrite) ? Et qu’est-ce qui vous incite à réaliser ce superbe programme web en forme d’épitaphe ?
Il est sûr que la presse du XIXème siècle n’a rien avoir avec la situation actuelle. Mais comme on le dit c’est plus un choix qui s’est imposé qu’une volonté délibérée. Le papier ne sera pas abandonné de sitôt, et les nouvelles technologies ont apporté beaucoup de choses intéressantes, comme une large participation, et une grande diversité des opinions.
Pour ce qui est de notre démarche, on utilise l’affiche papier comme diffuseur d’une information hébergée sur le net, et internet comme un diffuseur d’affiches et d’informations qui ont un lien avec l’affiche. On ne cherche pas à remplacer un contenu papier, mais plus à l’enrichir.
J’imagine que si aucun nom propre n’apparait nulle part, c’est pour préserver votre anonymat. Si tel est le cas, pourquoi ? La crainte de la police ? Le refus de toute renommée ? Les deux ?
Nous avons commencé dans le street art avec le pochoir, il y a six ans. Depuis on est passé par le graff et les affiches, et plus récemment on s’est intéressé aux QR codes et à la céramique (Désordres Publics). Nous avons suivi des études différentes (graphisme, histoire et design) mais nous sommes tous impliqués dans chacun des aspects de la production de nos projets. Les intérêts de chacun nous permettent d’avoir accès à un grand nombre de techniques et de savoir-faire (graphisme, internet et web mobile, production musicale, montages et vidéos, recherche historique, écriture, et street art sous toutes ses formes) que l’on met au service des projets du collectif. Pour résumer : les idées viennent du collectif et sont développées collectivement, on essaye toujours de mettre à profit les compétences de chacun pour servir le projet au mieux.
L’anonymat est de mise comme c’est souvent le cas lorsqu’on parle de street art, puisqu’il s’agit d’une pratique illégale. Mais on imagine mal la brigade anti-graffiti débarquer chez nous pour quelques pochoirs. Ce qu’on risque au pire c’est de se faire embarquer en plein collage, et dans ce cas là l’anonymat ne sert plus a rien. Il s’agit donc surtout d’un moyen pour mettre le crew, la dimension collective du travail, en avant.
Vous semblez jeunes — vos capuches sur certains clichés vous trahissent, mais si. Votre penchant pour le street-art, aussi. Sans parler de l’accompagnement sonore de certaines autres de vos projets… Or, un projet comme La Commune de Paris est traversé par l’histoire et la mémoire. Comment expliquez-vous ça ?
Ce n’est pas parce qu’on est jeunes qu’on ne s’intéresse pas à l’histoire ! L’histoire c’est toujours au présent ; on ne se pose pas les mêmes questions aujourd’hui qu’il y a trente ans, et tant mieux ! Et puis on hérite tous d’une mémoire que l’on a envie de développer et de s’approprier. L’histoire des luttes, des résistances, “l’histoire des vaincus” est plus que jamais d’actualité. C’est ce qu’on a voulu montrer en choisissant de parler de la Commune de Paris. A première vue, ça peut sembler très éloigné de nos vies. Pourtant, les idées de révolution sociale, de démocratie directe, d’internationalisme développées à l’époque sont très modernes ! Beaucoup de choses qui ont été dites lors de la crise économique en 2008, par exemple, ressemblent mot pour mot à certaines proclamations de la Commune. Si on a choisi ce sujet, c’est d’abord pour son actualité. Il nous a semblé assez universel pour susciter des réactions de la part de quiconque.
J’imagine que votre aventure précédente, Désordres Publics, a joué un rôle dans l’écriture de La Commune de Paris… Qu’avez-vous retenu de cette première expérience ? Avez vous une idée, par exemple, du nombre de gens qui ont utilisé les codes QR ?
On a d’abord été très surpris de l’écho qu’a rencontré notre petit projet, grâce à la diffusion du making of. Ça nous a ouvert des perspectives que l’on imaginait pas. La rencontre avec AGAT films a été décisive, ça nous a poussé à développer notre travail, à imaginer quelque chose de plus approfondi, et en même temps de plus accessible. Dans DÉSORDRES PUBLICS si on n’avait pas de smartphone le contenu était assez limité, le site n’étant pas optimisé pour la navigation web. On a repensé ce nouveau projet de façon à ce que l’ensemble soit adapté à la lecture sur différents supports ; le street art c’est aussi une façon de proposer du contenu in situ à tous ceux qui n’utilisent pas de smartphone. Il y a une dimension qu’on a pas évoqué, c’est celle de la radio. A partir de vendredi 18 mars, toutes les semaines la radio FPP diffusera une émission sur la Commune, que nous aurons réalisée. Ce sera encore une autre façon d’avoir accès au contenu que nous avons produit, avec les spécificités que permet l’outil et de suivre le déroulement de la Commune.
Pour ce qui est des stats, entre 5 et 15 personnes par jour ont tagué les QR codes en pleine rue, pour un total de 1000 utilisateurs de smartphones depuis fin octobre.
Il y a eu pic de consultations au moment où on parlait du projet – il a été relayé par quelques blogs à cette période -, et on continue d’avoir tous les jours des visites depuis la rue. Malgré tout la plupart des céramiques ont résisté aux intempéries.
À ce sujet, un code QR, ça se fabrique comment ?
C’est très simple, il y a des générateurs gratuits accessibles sur internet.
Quelle serait votre définition de l’espace public ? Et celle du webdocumentaire ?
L’espace public c’est celui qu’on partage avec les autres. C’est là où devrait primer l’organisation et l’expression collective. Aujourd’hui on nous défend d’y toucher en nous expliquant que c’est à tout monde, et pourtant on ne cesse de le vendre à des acteurs privés qui ont des visées commerciales… Pour nous, c’est un espace d’échange et de gratuité, comme on disait tout à l’heure par rapport à internet. Ça veut aussi dire qu’on dénonce le flicage systématique et la répression qui sanctionne toutes les initiatives, dès qu’elles sortent de la norme.
En ce qui concerne le web doc, ce qui nous intéresse c’est que le champ est encore très ouvert, il y a beaucoup de possibilités à explorer. On a envie de maintenir ce flou, plutôt que de se lancer dans une définition réductrice. Le principal intérêt du web doc, c’est justement qu’il est encore en train d’être défini. On peut donc participer à cette dynamique, ce qui est rare, et très motivant !
Un dernier point : vos soutiens. Agat films & Ex Nihilo et MRM Paris. Les premiers, une exigeante boîte de production de documentaires, on les connait. Les seconds, qui est-ce ?
Nous avons un partenariat technique avec eux, ce qui nous a permis de développer le site dans les délais et proprement. Il faut imaginer que nous avons commencé la conception du projet fin décembre, et qu’il a fallu faire les recherches historiques, concevoir le site, écrire les articles, imaginer des interventions street art, enregistrer les voix pour la radio et développer l’ensemble en moins de 3 mois, ce qui représente pas mal de travail.
On a aussi bénéficié du soutien de la radio libre FPP (Fréquence Paris Plurielle – 106.3 FM), qui a ouvert un créneau pour le Journal Illustré de la Commune tous les vendredi à 15h à partir du 18 mars, une émission de 15 minutes qu’on aura enregistrée à partir de lectures, extraits de films et interviews, reviendra sur les événements de la semaine. Ces montages serviront aussi à illustrer les articles par le biais de courtes vidéos, qui sont elles aussi encore en production.
Vous pouvez trouver le collectif sur son site et la google Map des interventions.
Article publié à l’origine sur Owni.