Nous sommes en 1967. Le réalisateur s’appelle Chris Marker ; son film : « A bientôt j’espère ». Il raconte une occupation d’usine, et des ouvriers à la double revendication : sociale ET culturelle. Ce film, c’est du pré-68. Du 68 en gestation. Ce film 67 illustre l’importance de 68 pour la classe ouvrière1. Seulement, les ouvriers de l’usine Rhodiaceta ne sont pas contents-contents du résultat.
Ils ne se reconnaissent pas tout à fait.
Démarre alors l’expérience des Groupes Medvedkine, du nom du réalisateur russe des années 30 Alexandre Medvedkine, et de son « ciné train » itinérant. Chris Marker va prêter caméras et outils de cinéma aux ouvriers. Dans son sillage : Jean-Luc Godard, Bruno Muel, et d’autres.
Ca donnera « Classe de lutte », où l’on suit Suzanne Zedet, ouvrière chez Yema. Dans « A bientôt j’espère », elle était muette, elle était soumise, au mari et à la vie. Dans « Classe de lutte », elle prend la parole ; belle et droite, encore timide, CGTisée mais libre. Suzanne Zedet raconte ses baisses de salaire. Elle sourit aux intimidations diverses2.
De Gaule, dit le livret fourgué avec le double DVD, aura cette phrase, à propos de ces films : « Qu’est ce que c’est que ces journalistes qui tutoient les ouvriers ? ». Les temps changent. Capital est devenu une émission de télé.
En 1970, nous sommes à Sochaux. A PeugeotVille, dans l’usine. Le 11 juin 1968, ici même, il y a eu deux morts, cent cinquante blessés. Les ouvriers racontent. Ils parlent des charges policières ou, dans d’autres films, de la souffrance au travail. Des corps qui plient et ploient. Du vacarme des machines. Des néons installés à cause que les néons, aux machines, ça leur fait rien ; tandis que le soleil pourrait les abimer. Les temps changent. Aujourd’hui, c’est Flash-Ball et emploi-éclair pour tout le monde.
Dans ces films, du Noir & Blanc, des idées pas encore délavées d’illusion, du beau, du vieux, du triste, du grand. Un ouvrier se plaint, déjà, que la télé, elle ne donne pas les bons chiffres des manifestant. Grève générale pour eux ; « rêve générale » disent, avec le e en trop et la beauté en plus, les autocollants d’aujourd’hui.
Les temps changent. Les Groupes meDVeDkine sont en DVD. Et c’est chouette à voir.
Une expérience de quelques années seulement...
par Bruno Muel
"Une expérience de quelques années seulement, qui n’a pas fait école, aujourd’hui presque oubliée, peut cependant laisser dans la mémoire de tous ceux qui y ont participé le souvenir d’heures exceptionnelles passées ensemble. C’est qu’en effet nous n’aurions jamais dû nous rencontrer, encore moins travailler ensemble. Ça ne se faisait pas, ça ne se fait toujours pas, ou si rarement.
De quoi je vous parle ? D’une utopie. De quelques dizaines d’ouvriers des usines Rhodiacéta de Besançon et Peugeot de Sochaux d’un côté, d’une poignée de cinéastes, réalisateurs et techniciens, de l’autre, qui ont décidé, á cette époque-là qui n’est justement pas n’importe laquelle, de consacrer du temps, de la réflexion et du travail, à faire des films ensemble.", Bruno Muel.
Le coffret aux éditions MontParnasse
DVD 1 (environ 152’)
- A bientôt, j’espère (Chris Marker)
- La charnière (Besançon, son seul)
- Classe de lutte (Besançon, 1969)
- Rhodia 4/8 (Besançon, 1969)
- Nouvelle Société 5, « Kelton » (Besançon, 1969)
- Nouvelle Société 6, « Biscuiterie Buhler » (Besançon, 1969)
- Nouvelle Société 7, « Augé découpage » (Besançon, 1969)
- Lettre à mon ami Pol Cèbe (Michel Desrois, 1970)
- Le traîneau-échelle (Jean-Pierre Thiébaud, 1971)
DVD 2 (environ 182’)
- Sochaux 11 juin 1968 (Sochaux, 1970)
- Les trois-quarts de la vie (Sochaux, 1971)
- Week-end à Sochaux (Sochaux, 1971)
- Avec le sang des autres (Bruno Muel, 1974)
- Septembre chilien (Bruno Muel et Théo Robichet, 1973)
+ Le livre (60 pages), qui retrace l’aventure des Groupes Medvedkine et d’une certaine maison de production cinématographique, SLON/Iskra.
1à mille lieux des clichetons à la con anti-68 du moment (« révolution bourgeoise », d’étudiants-diants-diants)
2quelqu’un sait-il, d’ailleurs, ce qu’est devenue Suzanne ? Si oui, dites nous, on aimerait bien faire notre film à nous, notre « Reprise » façon Hervé Le roux