Le corps de Mohamed Merah n’avait pas encore atteint sa rigidité cadavérique qu’à l’Elysée, Nicolas Sarkozy annonçait que « toute personne qui consultera désormais de manière habituelle des sites internet qui font l’apologie du terrorisme […] sera punie pénalement ».
Passons sur l’absolue absurdité policière d’une telle mesure, quand on sait combien les sites en question sont précieux pour les services de renseignement - ils les placent parmi leurs meilleures sources d’information pour connaître « l’état de la menace ». Si une telle mesure devait être appliquée, ce serait un bon numéro d’autosabotage.
Passons sur la manie chère au Président qui veut qu’à chaque drame réponde une annonce. Passons encore sur la probable non-constitutionnalité d’une telle proposition, et, enfin, sur le rétropédalage gouvernemental (tout cela remis aux calendes grecques, quelque part après l’élection présidentielle). Et regardons l’annonce pour ce qu’elle est et ce qu’elle dit : Nicolas Sarkozy a fait sienne la théorie du « préterrorisme », défendue par Bernard Squarcini, un proche qu’il a nommé à la tête de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Un concept total, et totalement flou, qui, sous prétexte de prévenir les risques, pénalise les intentions. « S’intéresser à » devient un acte de « complicité ». Avec Sarkozy, la curiosité devient pénalement répréhensible. Dans sa nouvelle Minority Report, l’écrivain Philip K. Dick avait anticipé le mouvement. La brigade « Pré-Crime » sillonnait nos consciences.
Dans l’affaire dite « de Tarnac », qui devait être le lancement de produit de la maison DCRI, c’est ce qui s’est déroulé : à force d’invoquer le « préterrorisme », à force de prévenir plutôt que de rassembler des preuves, le Politique, pour ses intérêts, avait amplifié une menace qui n’existait pas encore. Le versement intégral dans une procédure antiterroriste d’un livre, l’Insurrection qui vient, attribué à Julien Coupat et ses amis, fut une première en France. On comprend mieux, avec la récente annonce présidentielle, la manœuvre : cette décision n’était pas un accident, mais un signe avant-coureur. C’est bien sûr la politique de la peur qui règne ici, s’estimant légitimée par les assassinats commis par Merah, mais pas seulement. Et qu’importe si Squarcini lui-même tente par voie de presse d’éteindre le feu (Merah n’était pas un jihadiste, pas détectable, etc.) et de minimiser le terrible fiasco de son service : le message est passé.
C’est toute la nouvelle idéologie sécuritaire qui se fait jour ; celle dite de la « précocité », où l’on voudrait aller fouiller dans les garderies voir si des gènes criminogènes ne s’y promèneraient pas ; c’est celle de la vidéosurveillance omniprésente (mais inefficace à Toulouse), celle d’une science « criminologue » vidée de tout l’apport sociologique du XXe siècle, celle de la doctrine dite de la « situation préventionnelle » où la police est appelée à livrer ses « cahiers de recommandations » à la moindre rénovation urbaine des « quartiers » ; celle, finalement, de brigades « Pré-Crime » dotées de moyens technologiques si immenses que même le génie de Philip K. Dick n’avait pu les envisager.
Instrumentalisation
A Toulouse comme à Tarnac, le storytelling a triomphé, en mode dramatique dans la Ville rose, pathétique en Corrèze ; à une nuance près : l’instrumentalisation vient de franchir un cap. Sous nos yeux, un ministre de l’Intérieur s’est transformé en envoyé spécial des chaînes info et le président de la République en superdirecteur de l’information. Cette même spectacularisation (150 policiers dans une ferme corrézienne ; l’opération toulousaine comme une retransmission sportive en direct avec l’appareil d’Etat pour seul arbitre) signe le forfait. Si on sait depuis longtemps que la puissance terroriste est indexée sur sa médiatisation, on comprend désormais que l’arsenal antiterroriste n’est plus en reste. Depuis le 11 septembre 2001, c’est devenu un mode de fonctionnement.
L’épouvante des tueries de Montauban et de Toulouse ne devrait pourtant pas autoriser une telle théâtralisation mais bien au contraire ouvrir un examen de conscience de tous : police, politique, justice, médias. Alain Juppé a parlé de « failles » dans le renseignement ; le procureur de Paris s’est défaussé sur la DCRI. On aimerait que la gauche affiche autre chose qu’une mine affectée, timide, et intimidée. Et surtout que la France se dote, comme tous ses alliés, d’une instance de contrôle de ses services de renseignement. Au sein de la DCRI, le débat a démarré : les langues pourtant cadenassées par le « secret défense » commencent à se délier. Les écouter est édifiant.
Messages
27 mars 2012, 22:38, par lnk
Bonjour, Merci pour cet article très intéressant, et aussi pour votre livre que j’ai trouvé remarquable à la fois sur le fond et littérairement.
Ce qui me frappe dans toutes ces annonces (celles de Sarkozy, mais aussi les mesures annoncées par les candidats à la présidentielle), c’est qu’on dit ce qu’on va faire, mais jamais pourquoi : quel problème il s’agit de résoudre, et quel effet on attend de la mesure. En l’occurrence : Merah s’est-il radicalisé en allant sur des sites Internet « faisant l’apologie du terrorisme » ? Cela n’a jamais été dit. On a indiqué qu’il s’était radicalisé en prison (mais on ne parle pas pour autant d’interdire les prisons !). Il y a peu de questions sur la justification d’une telle mesure.
Le parallèle avec la pédopornographie est tout à fait hors de propos, car il s’agit d’une industrie, pour laquelle on cherche à tarir la demande, il n’y a rien de tel avec le terrorisme dont le but n’est pas (ou pas principalement) lucratif (je pense que ce serait l’un des éléments que le Conseil constitutionnel prendrait en compte s’il était saisi de cette loi).
Que la notion de préterrorisme soit à l’oeuvre ici me semble effectivement évident. Mais on ne voit pas pourquoi une telle « prévention » s’arrêterait au terrorisme (même si le préterrorisme est plus facile à « vendre » parce qu’il joue sur la peur). Proposer de pénaliser la consultation de sites négationnistes ou racistes pourrait paraître du « bon sens » (je ne suis pas sûre que ce ne soit pas inclus dans la proposition de Sarkozy, qui parle de sites incitant à la haine). De proche en proche, à quand la pénalisation de la consultation de sites incitant à la fraude fiscale, à l’escroquerie à l’assurance ou à l’excès de vitesse ? Ce sont nos libertés les plus élémentaires qui sont menacées, et nous sommes traités comme des enfants, qui ne peuvent pas avoir de curiosité sans être supposés influencés.
J’en profite pour vous poser une question à propos de votre livre : Guillaume Pépy avait-il dit auparavant aussi clairement qu’il le fait dans l’entretien que vous relatez, que les sabotages des caténaires ne pouvaient pas provoquer d’accidents, mais seulement des perturbations et des retards ?
28 mars 2012, 19:23, par tungstene
Puisque Sarkozy a dit : je rappelle que deux de nos soldats étaient… comment dire… musulmans, en tout cas d’apparence, puisque l’un était catholique, mais d’apparence… comme l’on dit : la diversité visible »
A quand une loi interdisant les cabines de bronzage !Merde alors ! Avec le bronzage on s’y retrouve plus !