Terminator | Consultation publique lancée par la Commission européenne.

Propriété intellectuelle : deux débats, deux engagements, deux attentes

Par Hervé Le Crosnier, 31 janvier 2006 | 6762 Lectures

 la débat sur les Technologies de Restriction à l’Usage des Ressources Génétiques (technologies GURTs, dites aussi « Terminator ») au sein de la Convention pour la Diversité Biologique, qui se tient cette semaine à Grenade (et qui devrait se poursuivre en avril)

- la « consultation publique » lancée par la Commission Européenne pour déterminer la politique des Brevets qui doit être bouclée pour le 31 mars 2006.

Avec le passage à la « société de l’information » ou encore « société de la connaissance », les questions de "Propriété intellectuelle" occupent une part de plus en plus importante dans les négociations internationales. Les innovations, les recherches (de plus en plus financées par des contrats public-privés), la santé, la nourriture, la culture,.. sont dépendantes de négociations très spécialisées et techniques. Or la place que la société civile peut occuper reste déterminante, notamment pour empêcher que les règles de propriété intellectuelle ne favorisent certaines formes de « développement » au détriment des règles de vie en commun et des Droits de l’Homme.

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Quelques mots sur les deux enjeux cités plus haut (qui mériteraient chacun d’être approfondis, il s’agit ici de lancer le débat).

1 - Terminator revient

Rappel technique : les Technologies dites « GURT » (Genetic Use restriction technology - Technologies de Restriction de l’Usage des Ressources génétiques) visent à produire des semences qui pourraient arriver à maturation (vendables... même si on ignore les effets secondaires), mais :

- soit ne pourraient pas se reproduire (V-GURTs - pour « variety-use restriction » dites « Terminator » par l’ONG canadienne ETC Group (http://etcgroup.org))

- soit auraient un trait bloqué, qui demanderait l’apport d’un produit chimique complémentaire à une période précise du développement de la plante (T-GURTs). N’oublions pas en ce domaine que les fusions industrielles font que les semenciers sont aussi les principaux producteurs de produits phytosanitaires (ou phytotoxiques suivant l’appelation des paysans biologiques).

Dans les deux cas, ces technologies de restriction ont des effets profonds sur les communautés paysannes (plus de la moitié de la population du monde) et sur les cultures et savoirs traditionnels

Après l’émotion soulevée par le dépôt du premier brevet Terminator conjointement par la compagnie Delta & Pine Land et le Gouvernement des Etats-Unis, brevet racheté par Monsanto, la multinationale de la semence avait déclaré la technologie abandonnée.

Or il n’en est rien. Ce brevet vient d’ailleurs d’être reconnu en Europe le 5 octobre 2005. En secret le lobby continue son oeuvre.

Aujourd’hui, c’est au sein de la Réunion de la Convention sur la Diversité Biologique (issue du Sommet de la Terre de Rio) consacrée aux savoirs indigènes et traditionnels, qui se tient actuellement à Grenade, que cette affaire de Terminator revient sur le devant de la scène. Enfin, une scène plutôt désertée : à peine une centaine de manifestants à l’ouverture, et pas un mot dans vos journaux favoris... il faut aller lire _La Jornada_ à Mexico pour en entendre parler !!!

Vous remarquerez le détour typique des efforts de lobbyistes de faire passer un débat sur les technologies génétique « de pointe » au sein d’une commission sur les savoirs ancestraux. Douglas Newmann, représentant des Etats-Unis, était bien seul à vouloir discuter des impacts positifs des GURTs, contre l’ensemble des représentants des pays du Sud qui veulent, à l’image de l’Inde bannir ces technologies de non-retour. Or la diplomatie, dans ces cas là, va créer une nouvelle commission pour "étudier l’impact des GURTs« ... manière insidieuse d’imposer comme »inévitable« le »progrès« , jusqu’à ce que les »expériences" en plein champ aient réussi, par lassitude, à vaincre la réticence des populations. Toute comparaison avec d’autres technologies étant bien évidemment dépendante de ma volonté.

On peut s’interroger sur le rôle que jouent les « brevets » dans la façon d’imposer de telles technologies. Imaginons un monde dans lequel on ne pourrait pas déposer de brevets sur le vivant. Les recherches pour améliorer les conditions de nourriture, de vie et de santé des populations se feraient avec le temps nécessaire, avec les précautions que méritent ces questions, sans devoir déposer des « revendications » pour tracer des « monopoles intellectuels » et transformer les paysans en planteurs de semences... et diffuseurs de phytotoxiques.

Ceci nous amène à notre deuxième point.

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2 - La politique des brevets de l’Union Européenne

Là encore, il serait nécessaire de préciser de nombreux éléments, mais cela dépasserait l’objectif de ce petit papier, qui vise à montrer la cohérence entre toutes les questions de propriété intellectuelle et provoquer une réflexion sur l’organisation du monde qui va sourdre de ces négociations.

La Commission européenne procède comme souvent sous la forme d’un questionnaire à la fois très vague, généreux dans ses formulations, mais introduisant une grande difficulté à percer les points réellement sensibles.

Consultation sur la future politique en matière de brevets en Europe http://europa.eu.int/comm/internal_market/indprop/patent/consultation_fr.htm

Ainsi, il n’est pas question de « brevets de logiciel » dans le questionnaire qui est adressé aux entreprises et citoyens européens. Mais il serait naïf de croire que les réponses ne doivent pas porter sur ce sujet.

Etes-vous d’accord avec le "respect des autres intérêts de politique publique tels que la concurrence (antitrust), l’éthique, l’environnement, santé, l’accès à l’information, conférant au système de brevet son efficacité et sa crédibilité dans la société." ? Oui, évidemment... mais cela ne répond pas au critère central : « qu’est-ce qui peut être breveté ? »

Ces critères lénifiants visent à nous placer dans un monde sans tensions, pour nous demander ensuite si nous ne pourrions pas travailler à : "Une reconnaissance mutuelle, par les offices des brevets, des brevets délivrés par un autre État membre, éventuellement associée à un cadre de normalisation de la qualité convenue ou à une « validation » opérée par l’office européen des brevets,"... et hop le loup ressurgit du bois.

Pas la peine de faire passer des Lois avec ces députés indociles. Sachant que quelques Etats acceptent de breveter les logiciels, le tour serait joué. Idem pour les technologies du vivant (pour faire plier l’Allemagne et ses lois très rigoureuses), pour les médicaments...

Sachant de surcroît, qu’à l’échelle du monde, au sein de l’OMPI (Organisation mondiale de la Propriété intellectuelle) se joue une autre partie dans laquelle la triade Europe-Etats-Unis-Japon veut mettre en avant un nouveau Traité que contestent les pays en développement (le SPLT : Substantive Patent Law Treaty), dont la substance est justement d’imposer partout le modèle de brevet des pays riches... on comprend mieux l’importance des débats sur ces questions.

Je n’ai pas encore formulé mes réponses de citoyen, mais je voudrais le faire autour de deux points, et j’attends vos commentaires pour éclairer ces idées :

- brevets et Droits de l’Homme : rendre non-brevetables les technologies qui peuvent porter atteinte aux Droits de l’Homme. Ni le Zyklon B, ni les bombes nucléaires, ni les technologies Terminator ne peuvent être brevetables. Une référence aux Droits de l’Homme est plus claire et juridiquement construite (existence de la DUDH et d’un embryon de Justice internationale) que celle à « l’éthique », sachant que l’éthique du commerce est toujours celle qui a prévalence.

- non-brevetabilité du vivant et de la connaissance. A l’heure des technologies de l’information, ces domaines doivent rester dans le bien commun. C’est une garantie d’indépendance de la recherche scientifique et de transparence dans les études toxicologiques.

Les brevets sont un mécanisme intéressant pour l’innovation industrielle. Or leur extension à toutes les sphères du savoir, la création d’un marché du brevet lui-même (qui serait accentué avec la proposition d’une extension automatique en Europe) et l’absence de repères juridiques pour protéger les populations sont aujourd’hui contraires aux buts premiers des brevets : favoriser l’innovation et le développement. Ils favorisent au contraire une économie parallèle de la « propriété intellectuelle » qui se construit sans relation avec la satisfaction des besoins essentiels des populations du monde.

N’ayons pas peur d’avoir un regard citoyen, un regard de simple citoyen(ne), sur l’organisation d’un nouvel ordre mondial appuyé sur les questions de propriété intellectuelle. Et si comme moi vous y percevez des dangers supérieurs aux avantages, n’ayons pas peur de le refuser.

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Messages

  • Bon article, tout global comme il faut :) Au final se pose la question : « la propriété intellectuelle est-elle bénéfique ou non à l’humanité ? ».

    Je pense que la réponse est clairement non. A l’origine, la notion de propriété intellectuelle a été mise sur pieds pour protéger les intérêts des auteurs. Cette application ne s’est faite que tardivement dans le domaine technologique. Le principe était alors d’éviter à un « inventeur » de voir ses travux et ses idées trustées par des entreprises diposant de moyens considérables en termes de fabrication et de distribution.

    Aujourd’hui, 90% des brevets déposés sont le fait de grandes sociétés. Un brevet en France : 1500 euros. En Europe : dans les 5000 euros. Aux US : 8000 euros. Au Japon : 15 000 euros (avec une protection plus qu’hypothétique). Peu de personnes (physiques ou morales), peuvent se permettre de prendre un tel risque financier (on parle ici de la réalité quotidienne, au-delà des success-story médiatisées). Certaines boitent vivent de cela : mise au point d’un procédé innovant, puis elles attendent la contrefaçon pour obtenir leur subsides, qui constituent la majorité de leur rentabilité.

    Il est à ce sujet trés intéressant de suivre les initiatives prises par de nombreux organismes humanitaires. Pour résoudre le problème de l’acxcès à l’eau, au net, à l’énergie pour des populations diposant peu de moyens, elles implantent des procédés libres de droits. Un autre exemple : lors du procés trés médiatisé de l’accés des pays « pauvres » aux formules pharmaceutiques pour la lutte contre le sida (en Afrique du Sud, vous vous souvenez ?), les sociétés détentrices des brevts ont affirmé : « nous n’avons rien contre, mais nous souhaitons maîtriser nous-mêmes le processus. ». Résultat : la catastrophe.

    Le net est une véritable révolution : il permet la diffusion d’information librement. Au final, il est beaucoup plus efficace en termes d’apports à l’humanité dans son ensemble. La « brevetabilité du vivant » est une véritable horreur. Que répondre à un malade demandant un traitement : « ben non, nous ne pouvons pas fabriquer ce médicament pour vous, nous n’avons pas le doit de vous soigner ».

  • Le débat actuel sur les droits d’auteurs (DADVSI) est d’une importance cruciale. Il montre que les instances dirigeantes cherchent à privatiser non la culture, mais les processus qui permettent à celle-ci de se construire, d’émerger, de diffuser.

    Le débat qui s’installe autour de la politique des brevets de l’Union Européenne est, à mon avis, d’une nature identique.

    La thèse que je défends est que le brevet ne favorise que très rarement, sinon jamais, la création ou l’innovation. Encore moins la juste rétribution des inventeurs. Il favorise par contre la prédation, l’accumulation de capital et constitue une barrière symbolique extraordinairement prégnante qui interdit l’idée même de circulation de la connaissance.

    Le brevet moteur de la création ?
    Le brevet permettrait grâce aux exclusivités d’usage qu’il garantit, de drainer, au profit de l’inventeur, des royalties considérables. Seul l’espoir de gains importants motiverait alors l’inventeur/créateur. Version revisitée du « point d’argent, point de Suisse » : chaque être humain n’étant qu’un mercenaire en puissance.
    L’appât du gain est une composante négligeable de la motivation du chercheur pour les raisons suivantes :

    1. 10% des plus grandes entreprises déposent 90% des brevets.
    2. L’ensemble de la recherche dans ces entreprises est effectuée par des salariés chercheurs.
    3. Ces salariés sont, dans 99% des cas, tenus de renoncer contractuellement à la totalité des retombées financières de leurs inventions.
    4. Lors de mes rencontres professionnelles avec de nombreux chercheurs/inventeurs, des centaines peut-être, jamais le sujet de la confiscation des royalties n’est évoqué. Seuls les conditions matérielles de la recherche, le choix des orientations, la nécessaire obtention de bons salaires, la reconnaissance du travail effectué sont parfois abordés.

    La dynamique du dépôt de brevets n’étant pas affectée par une politique qui prive l’inventeur salarié d’une partie des royalties dont il est à l’origine, nous pouvons en déduire que la vigueur de la création est indépendante du profit que peut en retirer celui qui est à la source de l’invention.

    Le brevet instrument de la prédation du bien commun
    Deux exemples qui me viennent immédiatement à l’esprit. Où comment la recherche fondamentale va de façon indiscutable être à l’origine de profits considérables, sans que pour autant ni son rôle ni plus fondamentalement ses budgets ne s’accroissent. Plus essentiel encore le brevet entretien la confusion sur les origines. Comme si l’on prenait la carte pour le territoire.

    1. Yves Meyer, mathématicien vivant et bien vivant, est à l’origine de la théorie des ondelettes. Pas une seule image satellite aujourd’hui qui ne soit redevable de cette invention permettant une compression considérable des données transmises. Yves Meyer, à ma connaissance, ne roule pas carrosse. Le voudrait-il d’ailleurs que sa production n’est pas brevetable. Par contre les applications directement issues de ses travaux le seront. La communauté devra d’une façon ou d’une autre payer un bien qu’elle a financé.
    2. Alain Aspect, est physicien fondamentaliste vivant et bien vivant. Une partie de son travail est utilisée dans les recherches actuelles sur la transmission sécurisée de l’information et sur le traitement quantique de l’information. Marchés qui se chiffreront en milliards de dollars. Comme pour Yves Meyer, sa production n’est pas brevetable. Les applications issues de ses travaux le seront.

    D’autres points doivent être encore abordés pour mieux comprendre le rôle social et économique du brevet : l’objet sur lequel il porte, la politique de divulgation, la forme de sa rédaction, la durée de protection, le rôle des Offices ...
    Pour ma part, je considère le brevet, dans l’immense majorité des cas, comme un instrument au service d’une idéologie. C’est un des garants symbolique de l’ordre économique en place.
    Qui voudrait nous faire croire d’ailleurs qu’en ces périodes de fusions/acquisitions toutes plus génératrices de désordres les unes que les autres, au moment où l’espace public est pillé au profit d’une minorité, que le brevet n’a d’autres fonction que celle qui est communément assignée aux chiens de garde.

  • Quelle douleur de lire des appréciations par trop « globales » sur la propriété intellectuelle et sur ses méfaits réels ou supposés à l’égard de l’humanité.

    Assimiler brevets et droits d’auteur en les désignant l’un et l’autres sous le vocable unique de « propriété intellectuelle » est un premier contresens. La propriété intellectuelle, c’est :

    • d’un coté la propriété industrielle (marques et brevets) ;
    • de l’autre la propriété littéraire et artistique (oeuvres de l’esprit).

    Il ne s’agit pas d’une nuance de juriste, la distinction résulte de finalités radicalement différentes : la marque est un droit d’occupation, le brevet monopolise l’invention, le droit d’auteur protège la création. Tout mettre dans le même sac est aussi pertinent que les poncifs du genre « les politiques tous pourris ». Pas de dialogue possible tant que l’on n’a pas identifié précisément ce dont on parle.

    Et pour ne parler que de la propriété littéraire et artistique*, elle est elle même polymorphe : le système de la vieille europe, et principalement de la France, centré sur le créateur en tant que personne physique, n’a rien de commun - d’un point de vue philosophique - avec le copyright, protégeant au moins autant celui qui a financé la création que son auteur réel.

    Du coup, dénoncer d’un même cri la brevetabilité du vivant et le projet DADVSI, dans une analyse globale de la propriété intellectuelle, c’est...

    DADVSI ne fait que pérenniser la protection de la création dans l’espace numérique, et non porter atteintes aux aspirations libertaires de quelques uns, qui relèvent nettement plus d’un discours d’opportunité - puisque la culture à l’oeil a de quoi séduire (même si la chose ne doit durer qu’un temps) - que d’une atteinte portée par la loi à des droits préexistants, le « droit » à la copie privée ne figurant nulle part ailleurs que dans les propos de ceux qui en rêvent. La brevetabilité du vivant en revanche soulève de lourdes questions éthiques, qu’il est de bien mauvais gout de ramener aux basses considérations des consommateurs face au projet de loi sur le droit d’auteur...

    * Son mal est connu depuis un siècle, et se résume dans la théorie de l’unité de l’art, par laquelle ont été protégées les créations appliquées, et en vertu de laquelle certains tentent de rendre l’information brute propriétaire, accentuant une confusion des genres. Le meilleur exemple en est le logiciel, dont il est de bon ton aujourd’hui de proclamer la liberté. Pourtant, les années 80 furent le théatre d’un lobbying tenace des principaux acteurs de cette industrie pour que leurs travaux bénéficient d’une protection. C’est le brevet qui avait d’abord été proposé (et demandé), avant que l’on ne se rabatte sur le droit d’auteur - faute de mieux - puis que l’on retente une drague du droit des brevets. Le logiciel est devenu oeuvre de l’esprit parce que la loi le dit, alors que pour tout un chacun, ce qui importe dans ces créations n’est pas l’esthétique du code mais son efficacité : c’est le paroxysme de l’art utilitaire, où ce dernier aspect rend le premier hors sujet.

    Voir en ligne : Un blog pro DADVSI, si si.

  • Ce serait bien d’utiliser la technologie trackback, c’est super pratique :

    En attendant :

    Voir en ligne : cliquez sur ceci : la propriété intellectuelle en question

Police

EUCD.INFO lance une pétition demandant le retrait de l’ordre du jour parlementaire du projet de loi DADVSI

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