LUNDI 6 AVRIL 2020 - JOUR 22
MATIN. Terrible tribune du philosophe germano-sud coréen, Byung-Chul Han, sur la guerre d’Après, qui nous attend, sourire aux lèvres et smartphone en poche, la guerre des données, dont les bruits de code se rapprochent jour après jour de nos âmes : « En matière de lutte contre le virus, les mégadonnées semblent être plus efficaces que la fermeture des frontières. Il est même possible qu’à l’avenir, la température corporelle, le poids et le taux de glycémie, entre autres données, soient contrôlés par l’Etat. Une biopolitique numérique qui viendrait renforcer la psychopolitique numérique déjà en place (…) Même dans les Etats libéraux que sont le Japon et la Corée, le contrôle des données est presque tombé aux oubliettes, et personne ne se rebelle contre la monstrueuse et frénétique collecte d’informations des autorités. »
APRÈS MIDI. Bonheur des réseaux sociaux et de l’entraide express, l’enquête sur le mystérieux Jalal, auteur de l’hymne furieux des balcons en colère, façon Salut à toi des Bérurier Noir (cf. Corona Chroniques d’hier), n’a pas trainé. Jalal n’est pas l’auteur de Merci à toi ô Soignant. L’auteure, c’est Vlasta Ray, sa femme. C’est elle qu’un tweet m’a aidé à retrouver (à Lyon). Vlasta se présente, elle est bibliothécaire, syndicaliste, et fille de féministe, si ça vous convient smiley-t-elle. Jalal est éducateur. Avec leurs filles Margot et Lila, ils ont monté un garage band de balcon. Jalal a récupéré la bande-son des Bérus, Vlasta a écrit les paroles, et à quatre, on a un peu bidouillé, on a mis la sirène au début, et on s’est enregistré en train de faire plein de bruit avec sifflet et casseroles. Le soir même (2 avril), les Ouloulou (leur nom de scène) balancent leur chanson sur FaceBook, c’est repris à Poitiers, c’est repris à Saint-Nazaire, c’est repris comme on brandit un peu de baume au cœur. #PogoBalcon et #CortègeDeFenêtre, nous voilà !
Vlasta m’envoie le clip, réalisé par une amie. Elle s’excuse, elle messenger que tout ça, c’est un peu du bricolage. Je lui rétorque que le bricolage, c’est le punk, qu’on fait pas mieux, ou alors, le bricolage, c’est de la gestion de crise gouvernementale et on fait pas pire. Sur la vidéo, au début, on voit des blouses impeccables qui défilent, qui disent qu’elles sont prêtes, qui disent déjà merci. C’est le service de gérontologie de l’hôpital Edouard Herriot (Lyon), bouleversé en service Covid, au premier jour de #Confinement, pas encore sous le feu roulant des râles et des tubes. Vlasta liste les héros : la kiné Séverine ; les aides soignantes Rimel, Mimi, Cathy, Manon, Jessica, Christelle, Isabelle, Marjorie, Cynthia, Fatima ; les infirmières et infirmiers Paul, Raihma, Laura, Anne Gladys, Bérengère, Violaine, Oriane, Floriane, Vero P., Vero R., Eleonore, Sophie, Laurine ; et les médecins Sébastien, Henriette et Florence. Depuis le tournage, sur les vingt-sept, sept ont été infectés par le virus.
Unanime, la presse applaudit la cinquième saison du Bureau des Légendes, en ligne ce soir. Il faut bien se déconfiner les esprits. Kassovitz peut se répandre ici et là que son personnage, Malotru, est le chouchou de la DGSE, et Libé tirer le portrait de l’ex-directeur de la boite de Pandore et à espions (Bernard Bajolet), c’est lauriers à tous les étages. Libération écrit, et ça devrait lui mettre la puce aux Grandes Oreilles, mais non : « Bernard Bajolet s’autorise un rare commentaire sur la politique intérieure, jugeant « extrêmement choquantes » les critiques répétées contre le gouvernement et sa gestion de la crise sanitaire du Covid-19. »
Que la série soit excellente ou brillante, réaliste ou fictionnelle, apparait, au fond, secondaire. Son existence même ne serait-elle pas plus éclairante ? Manipulateur de profession, Bernard Bajolet doit d’ailleurs bien rire sous cape devant tant d’innocence et de clameur. Le message que ce désigné « serviteur de l’État » — comme celui de la série, au service de la police, et de Canal +, au service de Bolloré — est limpide : pas touche à la Nation France. Le Bureau des Légendes ne serait-il pas avant tout un Bureau de Recrutement, une Fabrication des Attentes, l’acceptation glamour d’une police d’État au-dessus de l’État de Droit ? Son efficacité narrative n’en est que plus piégeuse, et redoutable en ces temps d’Etat Policier qui techno-menace, à coups de Covid et de QR Code. Le maître du polar social, Jean-Patrick Manchette, nous avait mis en garde : « même les paranoïaques ont des ennemis » (Manchette dont un lecteur de ce carnet m’apprend que La Table Ronde devait publier ces jours ci ses Lettres du mauvais temps, de circonstance).
SOIR. Appel d’un ami. Il me titille, c’était bien la peine de défendre l’Internet depuis le milieu des années 1990, si c’était pour en arriver là, à la collecte frénétique de nos faits et gestes. J’essaye de me défendre, je me défausse, le problème, c’est pas le Net, c’est pas l’hyper-texte, le malheur c’est le téléphone : c’est lui le mouchard, c’est lui, notre perte, sale petit bracelet électronique de nos libertés sous liberté conditionnelle. Et si on commençait l’Après par nous débarrasser de cette merde ?
A 20h, #OnDanse #CortègeDeFenêtres Merci à toi ô Soignant, à fond.
Merci à tous les hommes libres Merci à vous, et mort aux cons ! Merci à vous les femmes libres Merci à vous, tous au balcon !
Voici le mp3 :
- Moral du jour : 8/10
- Ravitaillement : 3/10
- Sortie : 0
- Speedtest Internet : 937 Mbps