Corona Chroniques, #Jour57

Par David Dufresne, 11 mai 2020 | 214552 Lectures

DIMANCHE 3 MAI 2020 - JOUR 49

MATIN. Lectures du matin, Vers des jours heureux, et huit à décompter : blogueuse invitée de Mediapart, la professeur émérite de droit public Monique Chemillier-Gendreau reprend au vol Macron (« nous retrouverons des jours heureux », allocution du 13 avril 2020) surpris en plein vol (Les jours heureux, titre-programme du Conseil national de la Résistance, mars 1944). Le long document de la juriste est à la fois radiographie d’un monde en pure défaite et socle de propositions solides. Elle y résume en neuf mots ce qui nous advient : « Cette pandémie a révélé aussi l’usure des démocraties ». La lire et se dire que tout n’est pas perdu, ou que ce qui l’est ne l’est pas pour rien, la lire et se rappeler que, partout, ici, et là, des manifestes se fabriquent, des comités bourgeonnent, ils prennent des noms pompeux parfois, loufoques de temps en temps, se réfèrent à Jean Moulin ou à la Révolution, et participent tous à vaincre ce qu’on voudrait nous imposer : le désarroi déjà roi (Suprême NTM, Qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu ?, 1995).

Monique est une des femmes les plus remarquables que j’ai rencontrées ces vingt dernières années. Elle l’ignore encore, mais elle crève l’écran, je crois bien, dans un film que j’ai eu le bonheur de réaliser et dont la sortie au cinéma a dû être salement confinée (on en reparlera, vivement demain, vivement Après !). Dans son Vers des jours heureux, Monique développe ce vers quoi toute son œuvre est orientée, l’élaboration d’« une société mondiale juste et viable », antithèse de la quarantainisation du monde qu’on voudrait nous mitonner au feu doux de l’incarcération bienveillante, de frontières refermées en institutions cadenassées, de discours martiaux en militarisation des rues. Juriste internationale, Monique Chemillier-Gendreau plaide pour la création d’une nouvelle organisation politique universelle (elle propose : Organisation Mondiale des Peuples) supplantant l’ONU plantée. Monique a 85 ans — et ses utopies cinglantes valent tellement mieux que les dystopies ambiantes (dystopie : mot pédant souvent employé par les cyniques pour justifier leur participation en bande organisée à un monde immonde).

APRÈS-MIDI. Patrice, sur Twitter, à propos de l’impossible déclaration de Castaner, hier, suggère un néologisme, qui pourrait bientôt passer dans le langage courant : une lapolissade.

Ailleurs, un autre front se dessine : celui de qui parle, et de qui nomme. Après quatre jours sans trop rien dire, les sociétés de rédacteurs des principaux journaux réagissent enfin à la drôle d’idée du gouvernement, surgie en milieu de semaine : la labellisation des « sources d’informations sûres et vérifiées » en cette période de Covid19 qui « favorise la propagation de fakenews » (selon l’annonce de Sibeth Ndaye, grande pourvoyeuse en la matière, porte-parole du gouvernement, et auteure de l’inoubliable « J’assume de mentir pour protéger le président de la République »). Drôle, délétère et désespérée compilation de bons points sur le site officiel de Matignon : qu’un gouvernement soit à ce point acculé pour appeler à la rescousse les services de fact checking de la presse en dit long. Sur lui, en premier lieu — mais aussi sur le monde des médias. Durant des décennies, l’essentiel exercice de fact checking consistait, dans les grandes rédactions anglo-saxonnes, à faire vérifier par d’autres leurs propres informations, avant de glisser en terrain de chasse aux rumeurs réseaux-sociales, vérificateurs-vitrines d’un journalisme de neutralité apparente, de moins en moins enclin à descendre dans l’arène, et se contentant d’en relater une partie des aventures, au point que certains, comme le philosophe Alain Cambier, parlent d’expédient efficace mais insuffisant.

Au Figaro, Arnaud Benedetti déclare : « L’escalade de l’engagement, [c’est quand] une structure ne parvient plus à enrayer la mécanique de déni qu’elle a enclenchée. Sa survie est alors indexée sur la perpétuation de ce déni. Ce n’est là plus l’État légal-rationnel mais une forme pathologique d’État. L’administration fédérale aux États-Unis savait dès 1965 qu’elle avait perdu la guerre au Vietnam, mais elle a préféré mentir à son opinion. C’est un peu la même chose avec la pénurie des masques qui n’a pas fini de fragmenter la réputation de l’exécutif et de démonétiser sa parole.  »

Demain, Après demain, ce terrain de la parole prise — comme on on prend position (tireur couché, ou franc-tireur ; reporter ou copiste ; narrateur ou falsificateur) — sera probablement plus dévastateur que jamais, et Debord plus spectaculaire qu’Avant (« Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux.  »). Et c’est Pendant que chacun fourbit ses armes — d’où la voracité à tout lire, tout le temps, dans nos dimanches de confinement et de tous les jours — c’est maintenant que se constitue notre arsenal d’Après, à coups de banderoles vers la rue, de carnets vers les siens ; à grands renforts de comités informels et de graffitis fugaces (aujourd’hui, sublime, vu sur Twitter : drone d’ambiance, cet État d’urgence).

SOIR. Place de la République, à Paris, ils sont des centaines, un par un, à un mètre de pauvreté chacun, misérables depuis des années ou sans-le-sou soudain, par confinement ; des centaines qui viennent prendre de quoi manger, image désastreuse pour le pouvoir, image qui se checke d’elle-même, image d’une classe moyenne qui dégringole, et qui bascule, 1929 en approche. C’est une vidéo du prince des Facebook Live — Rémy Buisine, terrible. Et c’est une légende des Restos du Cœur : « Dans cette distribution, nous aidons trois fois plus de personnes que d’habitude. Et cela est aussi vrai dans quasiment tous les lieux de distribution de rue partout en France. »

A 20h, #OnOublieraPas.

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