Le passif du cinéma interactif

Par Alexis Blanchet, 18 avril 2011 | 5238 Lectures

Le bonimenteur 1895-1920

Le dispositif de réception du cinéma n’a pas toujours été celui que l’on pratique aujourd’hui dans nos salles obscures, seuls face au spectacle de l’écran. Les limitations techniques du cinématographe dans la restitution du son et son exploitation comme divertissement de foire ont longtemps adjoint au film un bonimenteur. Le rôle de celui-ci était tout autant de mettre en scène la séance de cinématographe, de commenter le film que de faire le lien entre le public et les images projetées.

Bien qu’il ne subsiste que peu de sources historiques sur le travail des bonimenteurs, il y a fort à parier que ceux-ci avaient la capacité à créer un sentiment d’interaction entre la salle et le film. En s’adaptant aux réactions de la salle, en stimulant l’imagination des spectateurs sur les films à truc, en profitant de l’inexpérience et de la naïveté du public face à cette invention un peu magique qu’était le cinéma, le bonimenteur était en capacité de produire des impressions d’aller-retour entre le spectateur et son film : « Vous voulez que le ballon explose ? Et boum ! », « Et maintenant, soufflons tous pour que le personnage soit emporté au loin ! » L’interactivité peut être une pure illusion pleinement ressentie.

La standardisation technique l’a finalement emporté sur la liberté poétique. L’institution centralisée, celle de l’industrie du cinéma qui veut diffuser le même spectacle pour tous, a progressivement mis un terme aux discours localisés des bonimenteurs. Le formatage du spectacle a éliminé le facteur humain de la séance de cinématographe et avec lui, une forme d’interactivité du spectacle cinématographique.

Le Kinoautomat 1967-1974

Procédé pionnier de cinéma interactif présenté en 1967 au Pavillon tchèque de l’Exposition Universelle de Montréal, le Kinoautomat avait été créé par Radúz Činčera et invitait le spectateur à intervenir dans le déroulement d’une intrigue cinématographique. Le principe en était simple : à des moments décisifs de l’action, le film s’interrompait et le public était invité à choisir, entre deux possibilités, la manière de poursuivre le film. Un système informatique traitait en direct les votes de la salle et la séance se poursuivait selon le choix de la majorité jusqu’à une prochaine bifurcation narrative.

A Man and His House, l’œuvre cinématographique créée pour le Kinoautomat, était la chronique drôle de la vie des locataires d’un immeuble de Tchécoslovaquie, dont la réalisation avait été confiée à un réalisateur de la Nouvelle Vague tchèque. La structure du film était moins celle d’un arbre narratif, que d’une double sinusoïde qui conduisait aux mêmes événements. Činčera voyait son système cinématographique comme une satire du vote démocratique qui donne l’illusion d’un choix, quand que celui-ci est déjà pleinement déterminé.

À l’issue de son exploitation pendant l’exposition universelle, on s’aperçut du conformisme du public qui participa à l’attraction : l’étude des statistiques collectées durant plusieurs mois montra que les spectateurs choisirent très majoritairement les mêmes enchaînements de séquences narratives. Lorsqu’on ouvre la cage aux oiseaux, est-il si sûr que ceux-ci s’envoleront ?

Le FMV 1991-1996

Derrière cet étrange acronyme se trouve le Full Motion Video, un drôle de genre vidéoludique qui fit subrepticement renaître au cours des années 1990 la flamme du cinéma interactif. Les progrès techniques, en termes de puissance de calcul et d’affichage des plateformes de jeu et l’augmentation des capacités de stockage d’informations des nouveaux supports optiques (CD-Rom, CDI, DVD-Rom…) systématisent l’usage de séquences cinématiques dans la production vidéoludique. Le jeu vidéo est à cette époque considéré plus que jamais comme « le cinéma de demain ».

Le FMV s’avère être un genre très hétérogène : l’appellation rassemble sous le même terme de la simulation spatiale, du jeu d’aventure/exploration, du jeu de tir, du récit interactif c’est-à-dire des thématiques et des types d’interaction voire des genres très variés déjà bien établis dans le paysage éditorial.

Là où un épisode de Wing Commander et ses heures de vidéo coûtait une fortune à produire pour un retour sur investissement décevant, un petit soft basé sur l’interaction pure comme Doom coûtait trois fois rien et engrangeait des bénéfices monstres. L’industrie fit rapidement son choix ; et le joueur aussi en préférant la posture de joueur à celle de spectateur : non au cinéma interactif, oui au jeu vidéo !

Le DVD-Vidéo 1994-2010

On l’oublie souvent, mais lorsque qu’en 1995, l’industrie au grand complet s’entendit pour promouvoir le format DVD, elle insistait davantage sur les possibilités multimédia évoluées de son support que sur ses capacités de stockage élevées. Le DVD-Vidéo, déclinaison du support pour la vidéo domestique, proposait 128 commandes différentes invitant le téléspectateur à repenser son rapport aux programmes audiovisuels comme le visionnage multi-angle ou l’activation d’éléments dans l’image.

Circuler dans un film, choisir sa fin, faire une digression informative… le DVD devait révolutionner la manière dont on verrait les films de cinéma.

À l’arrivée, le DVD est resté un simple support de stockage et de restitution du film de cinéma dans une qualité meilleure que la VHS… De temps en temps, un éditeur ressort pourtant la carte de l’interactivité – dernièrement Final Destination 3 –, qu’il range bien vite.

CinemAction 2006-2009

Au tournant des années 2000, une startup belge a repris à son compte toutes les promesses du cinéma interactif afin d’en faire une série d’attractions pour parcs de loisir. Mélangeant la projection d’images animées, les sensations physiques (vibrations, soufflerie) et le jeu de tir, l’attraction CinemAction est un manège permettant de jouer au cow-boy, au pirate ou de s’adonner à la chasse sous-marine.

Il faut voir la tête émerveillée de quelques grands dadais en short et sac au dos, chevauchant un petit cheval de bois et tirant à tout va sur les bouteilles d’un saloon virtuel grâce au film Desperados. Dans la tradition de l’attraction de foire, le système CinemAction provoque l’amusement, l’excitation de la nouveauté et fait renaître l’enfant qui sommeille en vous. Yiiipeeee !

Le cinéma était à l’origine une attraction de foire. Il le redevient ici – ou ailleurs, comme dans les parcs à thèmes Disney qui ont aussi exploité ce genre de manège – avec force équipements, en perdant au passage sa qualité première : être un dispositif techniquement simple et matériellement accessible.

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