Le scandale, d’abord. Les Cailloux Sacrés vol III n’aurait jamais dû sortir. Comme les volumes I et II ne sont jamais sortis et ne sortiront jamais. Seulement, voilà, depuis le Nine-Eleven, tout le monde se fout de tout. Le moindre salopiaud peut gicler sa purée, c’est la tolérance 100%, le monde se moque du monde. C’est toujours pareil avec les guerres. Les inconscients sont à la fête. Il a pourtant un problème, ce disque. Un sérieux problème, monsieur le P-D.G de je ne sais quelle maison de disques. Cette compilation est sensée servir de bande son à Les cailloux sacrés, un livre barré de mal barrés, un hymne aux bécanes graisseuses, aux p’tits restos perchés hauts dans les montagnes de la bonne bouffe, une ode à la sodomie la plus explosive qu’un cerveau détraqué n’ait revendiqué (page ??, du livre de Nic Richard, chez Flammarion, lisez ça et vous prierez Gutemberg pour qu’il revienne et stoppe ses rotatives), et voilà que le disque en question ne contient pas même la plus juste traduction musicale du livre : Get out of my life de Little Willie and the Adolescents.
Un sacré foutoir, quoi. Un truc à réparer séance tenante. De toute façon, de scrupuleux rock critics feront le vrai boulot à ma place et vous diront que le Kid Loco a toujours vu la vie en rouge, et que c’est pour ça qu’il a toujours été raccord avec l’époque, même quand on se faisait chier, lui, moi, et quelques autres, à compter les cartons d’albums des Bérus dans les entrepots gris de chez New Rose. Que Julie B. Bonnie a la voix douce qu’ont souvent les plus affolantes compagnes de vos meilleurs amis. Et puis, de Captain K. Verne, de Porto, de Superlow, de Dionysos (un pseudo, c’est sûr ; l’Autre grec n’a jamais rien enregistré de buvable, sinon, ça se saurait), de Washomatic All Stars, de San Benito (c’est quoi, ce nom ?), les critiques vous conteront tout ce qu’il est important de savoir. Qui joue avec qui, qui connaît qui, et tous ces Marius, Madeleine, Balthazar dans leurs chansons, sont-ils bien des personnages de roman n’ayant vraiment jamais pas existé ? Et puis, c’est quoi leurs influences, et puis pourquoi Flavor Flav a fait buter Easy-E qui venait d’assassiner Kurt K. (vous le saviez pas ? Non, sans déconner ?) ? Sûr, les braves feront ça, et ce sera chouette. A propos, pour la maison de disques, j’écris cette phrase. Z’ont qu’à la mettre sur le sticker de l’emballage : « Les Cailloux Sacrés, la meilleure compil’ de groupes modernes du monde ». Avec les clés Télérama, ça devrait être efficace. Et si le label n’en veut pas, je m’en fous.
Moi, c’est de Little Willie et de ses Adolescents dont je veux causer. Dehors, c’est la guerre. Alors, on peut bien prendre deux minutes. Get out of my life, ça donnait ça : « Hey, gamine/Sois sympa/Tire toi de ma vie/OK, Honey/Fais moi une faveur/Ferme ta grande bouche/Hey, gamine/Pourquoi t’insiste ?/Encore une fois/Sois Sympa/Tire toi de ma vie/Hey, qu’est-ce qui va pas ?/Go, baby, go/Tire toi de ma vie/Moi, j’ai ma guitare/J’ai ma guitare avec moi ». Question musique, c’était du même tonneau. Les Adolescents de Buffalo, New York fonçaient droit dans le mur. Ils reprennaient aux Anglais le rock blanc que leurs propres aînés avaient piqué aux Noirs. Get out of my life, ou la vengeance terminale en mode binaire.
En fait, selon le type le plus futé de l’Histoire du Rock, Tim Warren1, aucun membre des Adolescents ne se prénommait véritablement Willie. Pas plus qu’aucun biker au monde ne s’est jamais préoccupé des orientations spongiformes de notre société (pour mieux saisir, lire la Tour Effeil de Nic Richard, Les Cailloux sacrés, Flammarion). Et pourtant. Dans un cas (New York, 1965) comme dans l’autre (Fressinnières, 2002), il y a bien un disque et un livre. Des tarés et des tarés. Du coriace et des féroces. Un orgue ici ; une Ferrari là. Des guitares fuzzy et, en face, des Harleys. Du sincère. Et, malgré tout, nada, zéro, Nic Richard n’a pas voulu faire le lien. Il n’a pas mis Little Willie et ses Adolescents sur sa B-O. Merde, ils étaient pourtant exactement comme il est, lui : des as de la supercherie qui avaient un truc à dire, et qui le faisaient avec c ?ur. Des purs produits de cette culture du dessous, que Sollers devrait d’ailleurs arrêter de villipender sans savoir, sinon on lui envoie des mecs qui savent : la bande à Guidon (lisez le livre, bon sang). Ou, alors, et c’est plus emmerdant, Nic Richard ne les connaît même pas, Little Willie et ses Adolescents.
Et, alors, là, défait, je suis bien obligé de m’incliner. Comme ce jour lointain où, dans un bar tourangeau, le manager Nic Richard, pas encore romancier, se mit à paniquer. J’avais planqué la recette du concert de son groupe sous une banquette, au fond du troquet. Lui, il courrait dans tous les sens, merde, c’est pas possible, elle est où, merde, merde. Paniqué mais hilare. Aucun manager au monde n’aurait réagi comme lui. Et depuis ce jour, je crois bien que je n’ai jamais croisé Nic Richard sans son sourire. Ça force le respect, un truc pareil. A part ça, n’oubliez pas les stickers. Et l’huile d’olive. Maintenant, je me tire de votre vie.
1fondateur de Crypt Rds, à qui l’on doit les compilations garage 60’s Back from the grave . Pour t’acheter le vol.III sur lequel figure Get out of my life - pas Cailloux sacrés vol. III, hein, mais bien Back from the grave vol.III - visiblement, c’est trop tard aujourd’hui, mais tache d’y penser la prochaine fois.