Malik Oussekine. 20 ans après.

Par David Dufresne, 6 décembre 2006 | 21409 Lectures

Il ne faisait ni gris ni beau. Il faisait vieux, vingt ans dans la gueule. Nous étions quelques uns, cinq dizaines à tout casser. Des vieux gris, des vieux beaux, et des jeunes femmes ; et quelques beaux vieux aussi, mais pas de jeunes gris, du moins, je ne crois pas...

Avant le dévoilement.
Avant le dévoilement.
David Dufresne

Il y avait la famille Oussekine, un frère, des soeurs, une mère, je crois bien. Il y avait Maurice Rajsfus, l’historien de Vichy et des bavures policières. Il y avait Ahmed Meguini, figure du mouvement lycéen 2005. Il y avait des copains de Samizdat.net, qui ont tout fait pour rameuter. Et d’autres copains, croisés ici pour la première fois, aux visages pourtant déjà familiers. Jérome D. est là aussi. Jérome, c’est cet étudiant blessé sur l’Esplanade des Invalides le 4 décembre 1986, et qui avait laissé quelques commentaires ici, en bas de ce vieil article bancal, écrit il y a dix ans.

15h30-16h. Petits silences, sourires tristes, circulation un temps fermée et deux simples initiales comme un Grand Tout. M.O. comme Malik Oussekine. M.O. comme Mots d’ordre. M.O. comme Maintien de l’ordre. Avec Christophe Bouquet, réalisateur, et Jean Robert Viallet, chef’ op’, nous sommes là, aussi, pour ça1.

La plaque.
La plaque.
Version officielle.
David Dufresne

Dans la foule, également, des petites mains de SOS Racisme apportent un gros bouquet auto-sponsorisé. Toujours la même histoire, avec eux. Les petits gars sortent même des fanions-naphtaline. Et voici le maire de Paris, Delanoë. Que j’écoute, et que je ne filme pas quand il nous dit : « ce n’est pas nous qu’il faut filmer, c’est la plaque ». Ca tombait bien, j’étais venu pour elle ; pas pour lui. A ses côtés, on croise le regard un peu fébrile d’Assouline David, sénateur PS à l’origine de la dite plaque. Alima Boumediene, sénatrice de Paris elle aussi, mais chez les verts, est colère. Colère contre la police. Colère contre cette pose express. Colère contre colère.

Un adjoint au maire me raconte que la co-propriété n’a pas souhaité que la plaque soit scellée sur le mur de l’immeuble.

Alors, on se penche, on regarde au sol, à terre, comme Malik Oussekine gisait, il y a vingt ans.
A terre.

La plaque.
La plaque.
Version officieuse. Lors du tournage « Quand la France s’embrase », on a donné deux bouts de gaffer à un passant, qui a ajouté « par la police ».
David Dufresne

La plaque est là, à même le sol, sur le trottoir. Elle est à la ville, dans la ville, elle est à la mort et à la vie. Ici ou là, on s’étonne. La plaque dit : « A la mémoire de Malik Oussekine étudiant de 22 ans frappé à mort lors de la manifestation du 6 décembre 1986 ».

Une main, celle de Jérome D., ajoute sur un papier : « par la police ». Et le voilà qui sort de ce gros scotch qu’on appelle gaffer. La phrase devient « frappé à mort par la police ». Provisoirement, la gaffe a disparu.

Et puis, les officiels se retirent. De belles passantes s’arrêtent enfin, des apprentis tiennent leur caméra. Un vieil homme, employé jadis par la librairie d’â côté, a les larmes aux yeux : pendant des années, me dit-il, il a renseigné les curieux, posé des fleurs. En voici une, justement. Une rose. De ces roses qui rappellent la Mitterrandie, et ses mitterranderies : Malik Oussekine n’y avait pas échappé, d’une certaine façon, quand le Vieil Homme avait su quoi tirer du Jeune Homme. C’était du temps de la Cohabitation, tout ça. De Chirac-Pasqua-Pandraud, ceux-là.

La plaque.
La plaque.
David Dufresne

Il est 16h30, il est 17h, il est 1986. Sur le trotroir, quelques mémoires restent. Parlent. Retiennent l’instant. On scotche des textes, des tracts. Ca semble moins compassé, moins solennel, c’est la vie qui continue.

Et puis, la nuit tombe. On s’embrasse sans le faire vraiment. Et moi, je viens de reprendre mon site, après six mois de doutes, sans le savoir vraiment.

6 décémbre 2021
6 décémbre 2021
35 ans plus tard.
David Dufresne

1Finir un documentaire sur le Maintien de l’ordre en France. Finir le tournage par cette scène là, sans l’avoir prévue à dire vrai. Mais ce n’est pas trop le moment d’en dire plus. Promis, on en reparlera. Plus tard.

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Messages

  • Bonjour, bravo, l’article est bien écrit. Dommage qu’il soit gâché par la critique facile de la présence des main d’SOS Racisme. Je croit que c’est bien qu’ils soient venus. Cette mort fait aussi partie de leurs histoire.

    • Critique facile ? Peut etre. Utile ? Je l’espere. Critique critique ? Assurément.

      Le rôle de SOS Racisme a toujours été, à mes yeux, des plus flous dans son côté cool-concerts-mains de pote-etc. Ce serait tres long à détailler, il faudrait revenir sur la Marche des Beurs en 83, puis sur l’irruption cool de SOS Racisme, de ses accointances cools avec une gauche cool (coule ?) et molle, etc. Oui, revenir sur ce que SOS a pu représenter comme promesses/visions avant de devenir l’anti chambre pcool d’un PS pas cool à la Dray-Boutih-and Co.

      C’est simplement ce que j’ai voulu dire par ces pics.

      Bien entendu, loin de moi l’idée de mettre en doute la sincérité des militants de base de SOS Racisme, et probablement d’une bonne part de ses cadres, mais tout de même ; mais voyons...

    • Tout à fait d’accord sur SOS racisme.Pour creuser des tranchées entre les gens ce sont des chefs mais pour se mouiller dans les quartiers, animer des discussions, auprès de la population dite« raciste » la y avait jamais personne des dirigeants..... A l’époque Harlem Désir faisait plus du soutien au parti socialiste que du militantisme urbain.....

  • Dans la soirée, c’était tranquille. Au coeur de la nuit, comme ce jour là. Pas envie de faire figurant pour les médias, pour la mairie.

    Une fille est passée. Elle a dit, demain j’ai quarante ans. Un gars qui était à saint bernard, dix ans aprés, refait sa vie en bretagne, venu exprès, vivant. Vingt ans. Dix ans. Le vent ne nous a pas emportés. Time is on our side.

    Tu boucles un doc ? le MO à la française. Beaucoup d’éthologie, un peu d’histoire. Suerte.

  • 20 ANS DEJA ET COMME 1 IMPRESSION QUE TOUT EMPIRE ,TANT DE SANS PAPIERS EXPULSES ,MEME DES ENFANTS QU ON VA CHERCHER DS LES ECOLES DE LA REPUBLIQUE ,ON ,PAS LA PEINE DE LE NOMMER ,LES MEDIAS PARLENT ASSEZ DE NOTRE MINISTRE DE L INTERIEUR ,J AI 66ANS ET SUIS TOUJOURS REBELLE .SALUT A TOI MALIK ,UN JOUR VIENDRA PEUT ETRE OU LES HOMMES EN FINIRONT AVEC LA HAINE ,ON PEUT TOUJOUR REVER !!!

  • Un peu minimaliste, cette plaque. A moins de connaitre déja l’affaire, on comprend pas vraiment. J’ai été obligé d’aller lire l’article de wikipedia. Il aurait fallu un « frappé a mort par les forces de l’ordre alors qu’il sortait d’un café-concert et s’appretait a rentrer chez lui ». La on comprend.

  • Et moi j’ai 36 ans aujourd’hui, l’âge qu’il n’aura jamais.

    Comme je te le disais en privé, je me sens un peu con d’avoir si mal jugé la situation, il y a vingt ans. On peut mettre ça sur le compte de ma jeunesse d’alors, réac comme un fils de flic que je suis, qui croyait toujours que les flics ne tapaient que sur les méchants.

    Tu vois que ton site sert toujours, au passage. Bienvenue chez les vivants, encore et toujours.

  • Salut, J’avais 19 ans à l’époque de la mort de Malik et j’étais président du comité de grève du Lycée Mme de Staël à Montluçon (Allier),j’étais aussi président de l’union locale de la FIDL.Je n’ai jamais oublié cet évênement tragique et à l’époque j’avais écrit un texte que vous pourrez apprécier en suivant ce lien : http://www.wat.tv/audio/163413/SLAYD-SL�YD--A-Malik.html Quand j’entends des gens parler de « Karcher » et de « racaille », je ne peux pas m’empêcher de penser à ces victimes des bavures policières que sont Malik et tant d’autres.....J’espère que ce « Pasquazy »ne passera jamais. NO PASARAN !!! A bientôt. SLÄYD ou Sylvain as you want !!!

    Voir en ligne : Hommage à Malik OUSSEKINE

  • Et moi j’ai 22 ans l’age qu’avait Malik le jour de sa mort,choqué et consterné par ce qui s’est passé je voudrai lui rendre hommage à travers ce message.Malik tu es devenu aujourd’hui et à jamais le symbole de la résistance juvénile face à l’oppression policière.Repose en paix !!!!!!!!! J’ai depuis mon enfance toujours entendu parler de l’affaire Malik Oussekine sans vraiment savoir ce qui s’est passé,aujourd’hui je voulais me renseigner sur les causes qui ont amener son décès,c’est tout naturellement que je me suis dirigé vers ce site.Et oui il a encore une utilité pour toi qui t’interroge encore.Ce site doit rester ouvert et etre alimenter pour qu’un jour prochain, un individu qui comme se pose la question sache la vérité sur la mort de Malik Oussekine.HOMMAGE A MALIK UN HOMME MORT RUE DE COUPS PAR LA HAINE

    • L’APPEL - BASES DE LA CAMPAGNE

      POLICE, PERSONNE NE BOUGE ?! CAMPAGNE NATIONALE CONTRE LES PRATIQUES POLICIERES MORTELLES

      Que l’on remonte à l’affaire de Malik Oussekine (Paris, 1986) dont la mobilisation a conduit à la dissolution immédiate des pelotons de voltigeurs mobiles, à celle d’Aïssa Ihich (Mantes-la Jolie, 1991) mort au commissariat de Mantes-la-Jolie, entrainant une réforme de la garde à vue donnant le droit à la présence d’un avocat dans la première heure, ou encore à celle de Mohamed Saoud (Toulon, 1998), mort lors d’une interpellation policière, qui avait valu à la France une condamnation par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (arrêt du 9 octobre 2007), faisant constater une “violation du droit à la vie”, nous constatons que seule la mobilisation paie pour que ces affaires ne soient pas enterrées.

      Nous ne crions pas au racisme. Et obtenir “Justice” ne sera pas simplement la lutte dans laquelle on voudra bien nous cantonner. Nous connaissons bien le couple “Police-Justice” (un soutien sans faille pour “le meilleur et pour le pire”) et nous n’acceptons pas les messages de cette Justice qui, au travers de ses verdicts cléments, démontrent l’indulgence envers certains policiers-assassins qui violent la loi et qui ne respectent pas le code de déontologie de la police.

      La campagne nationale “Police, Personne ne bouge ?!” pointe du doigt ces dérives et plus particulièrement la mise en danger des citoyens, et le non-respect des droits de l’Homme à travers l’utilisation de certaines pratiques et techniques d’immobilisation lors d’interpellation ainsi que des comportements humiliants, violents et disproportionnés, qui tendent à se banaliser, dont sont victimes des innocents ou des justiciables.

      Lors de contrôles d’identité, ou d’interpellations, la Police applique une méthode d’immobilisation qui dans sa pratique peut provoquer la mort : cette méthode “au corps à corps” consiste à ce qu’un fonctionnaire de police étrangle la personne qui se trouve au sol, pendant qu’un autre lui comprime la cage thoracique en appuyant fortement son genou dans le dos. Cette pratique appelée aussi “clé d’étranglement” entraîne l’immobilité, la suffocation, de graves lésions qui peuvent provoquer alors des conséquences irréversibles quand ce n’est pas la mort.

      Dans d’autres affaires, similaires, plusieurs interpellations ont conduit à la mort, notamment celle de Sydney Mamoka (Tourcoing, 1998), Lamine Dieng (Paris XXème, 2007), et plus récemment Hakim Ajimi (Grasse, 2008). Ces interpellations violentes ne justifient en rien la légitime défense, ne peuvent rester sans suite et impunies. Toutes ces morts violentes impliquant une responsabilité policière ont comme point commun : la méthode d’interpellation employée !

      Nous rappelons que cette méthode est interdite en Suisse, Belgique, Allemagne, à New-York et Los Angeles, et qu’elle a valu à la France une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans un arrêt du 9 octobre 2007 à la suite d’un décès en 1998. La CEDH avait déploré à l’époque « qu’aucune directive précise n’ait été prise par les autorités françaises à l’égard de ce type de technique d’immobilisation ». Par ailleurs, le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) a, dès 2002, demandé à la France d’éviter son utilisation.

      Malgré cela, c’est cette même technique d’immobilisation qui a encore causé récemment la mort à un jeune homme de 22 ans, Hakim Ajimi (Grasse, mai 2008) alors qu’il était ménotté aux pieds et aux mains dans les premières minutes de son immobilisation. Il sera maintenu au sol et étranglé pendant 15 à 30 minutes…

      Par conséquent :

      1. Nous réclamons l’interdiction immédiate de la technique d’immobilisation enseignée et pratiquée par la police qui consiste à effectuer une « clé d’étranglement » compte tenu des risques reconnues qu’elle comporte ;

      2. Nous demandons à ce que soit initiée la création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’utilisation de la technique d’immobilisation par la police, qui consiste à pratiquer une clé d’étranglement lors d’une interpellation ;

      3. Au cours de cette campagne, nous appellerons toutes celles et ceux qui le souhaitent à créer un outil national pour agir, s’organiser contre les violences policières et réclamer une inspection indépendante de la police en parallèle des services existants.

      A L’INITIATIVE DU FORUM SOCIAL SOCIAL DES QUARTIERS POPULAIRES (FSQP), AC LE FEU, OLIVIER BESANCENOT / NPA, MOUVEMENT DE L’IMMIGRATION ET DES BANLIEUES (MIB), BOUGE QUI BOUGE, DIVERCITE, COLLECTIF LAMINE DIENG, DROIT DE CITE, MRAP ET COMITE JUSTICE POUR HAKIM ADJIMI

      http://policepersonnebouge.free.fr/

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