Le magazine traînait sur un coin de table au bureau. Historia Magazine de janvier 2003. Page 24, il y avait ça : « Le bioterrorisme commence il y a trois mille ans », signé par Pierre Kohler1.
Cinq pages de morts. Cinq pages de virus. Cinq pages cadavres putréfiés. Et, soudain, toute une vision du monde qui change. Une urgence qui s’éloigne.

Depuis une dizaine de jours, en effet, les Etats-Unis abreuvent les chaînes de télé du monde entier d’images d’exercices improbables d’anti-terrorisme. Seattle, New York, Washington, partout, on joue au bioterrorisme. A l’attaque bio-chimique. A l’attaque à la bombe sale. Pompiers, ambulanciers, policiers, civils, c’est la Grande Simulation ! De faux blessés partout ! Des caméras ! Des chiffres et des civières ! Des marquages au sol, des hopitaux de campagne, des postes médicaux avancés, et lui, et lui, et des conférences de presse ! Le maintien assuré de la psychose généralisée.
Sur le coin de table, Kohler multipliait pourtant les exemples, qui sonnaient comme auatnt de mises en garde :
- « Au Ve siècle avant notre ère, selon Hérodote, les archers scythes infectent leurs flèches en enfonçant préalablement la pointe de celles-ci dans de la chaire humaine putréfiée, ou dans du fumier, pour transmettre la gangrène ou le tétanos. ».
- « Nous sommes en 1344. Les Mongols assiègent la ville de Caffa (aujourd’hui
Feodossia), tenue par les Génois, sur la côte orientale de la Crimée. Les assiégés résistent pendant trois longues années et les Mongols vont lever le siège lorsque la peste, arrivée de Chine avec les caravanes de marchands, fait son apparition. Djanisberg, leur chef, décide de catapulter les cadavres de ses propres soldats par-dessus les murailles « pour que la puanteur insoutenable achevât les assiégés ». Il ne sait évidemment pas que ce sont en fait les puces et les poux, vecteurs du bacille Yersinia pestis présent sur les cadavres, qui vont répandre la maladie chez les assiégés. »
- « En Estonie, lors du siège de Reval en 1710, l’armée russe projeta des cadavres
de pestiférés pour contaminer la ville tenue par l’armée suédoise. Autre exemple, en 1785 à La Calle, en Tunisie, où pour se venger des chrétiens, la tribu des Nadis jeta des lambeaux de vêtements prélevés sur des pestiférés. ».
Il fallait agir, et vite.
Se dire qu’en ces heures sombres, mieux vaut être mutant que mouton.
Rappelons qu’à l’heure où ces lignes sont publiées, l’Amérique triomphante n’a toujours pas trouvé ni d’armes de destruction massive, ni d’anthrax en Irak. En revanche, à Bassora, faute d’hygiène, le choléra est de retour.
1auteur de l’L’Ennemi invisible, le bioterrorisme, éditions Balland, 2002