Après tout, je dois sauver ma peau moi aussi ; et puis, le chaos a ses charmes, il sait offrir des opportunités à ceux qui foncent. C’est ainsi que j’ai accepté de me rendre à la réunion des Hackers en colère (cf. épisode précédent). C’est Jane C., une pirate formée chez nous, qui a monté le sommet, sur un Darknet. Elle avait convié les dingos des Anonymous et Kyala, une affolante de 17 ans. Erasom était absent, et pour cause, l’as du BackPhone a été « suicidé » au début d’Anarchy, sans doute en lien avec l’attaque (véridique) des serveurs de France Télévisions, mi-novembre…
Les Anonymous ont commencé par débiter leur fond de sauce new age. Leur porte-parole se demandait comment « motiver le peuple qui a perdu Espoir » en assurant que son groupe s’opposait à toute lutte armée, lui qui a pourtant plongé Paris dans une panne électrique totale, facilitant l’évasion de Fleury-Mérogis des émeutiers les plus violents. Le garçon était fier de ses incantations, genre : « combattre les ténèbres par les ténèbres ne mène à rien, mais illuminer les ténèbres, même d’une petite lueur, transforme à tout jamais ce qui a été, est, et sera ». Et il finissait invariablement par des « Nous sommes Anonymous, nous sommes les enfants de la Liberté, nous sommes légion, nous ne pardonnons pas, comptez sur nous » qui provoquaient chez lui un petit rire nerveux des plus déplaisants.
Jane C. tenait son rôle d’indic, elle ne bronchait pas. Jane savait que les Anonymous avaient quand même réussi à s’introduire dans le saint des saints, l’intranet de la Banque de France. Faut prendre les gamins pour ce qu’ils sont : les vrais révolutionnaires de l’époque.
Pour ma part, je ciblais surtout Kyala. Sa devise de personnage d’Anarchy constituait en soi un renversement — et un programme : « Ce n’est pas l’argent qui gouverne le monde. C’est le langage binaire. » « Piratage sans conscience n’est que ruine de l’âme, monsieur Upian, commença par me lancer la jeune fille. Dans nos sociétés auto-proclamées transparentes, démocratiques et justes, il est sain que des particuliers se manifestent comme des anti-corps pour restaurer un semblant de vérité quand, en réalité, opacité et clientélisme règnent. Mais que l’on ne s’y trompe pas : nous sommes les soldats virtuels de la Constitution. Il y a là l’adhésion à un modèle, non sa contestation. La transparence aveugle a ses limites » Puis elle ajouta : « D’autant que toute vérité n’est pas bonne à dire, et vous le savez mieux que moi, n’est-ce pas, monsieur Upian ? » J’ignorais s’il s’agissait là d’une menace ou d’un conseil, mais je le pris comme une invitation. Avec ses talents, et mes réseaux, il y aurait sans doute de quoi se faire un joli pactole… Notre soif d’ordre restant notre meilleur argument de vente.
La suite sur le site d’Anarchy ou sur Le Monde