La petite bande de jeunes hommes fringuants était passée dans mon rêve. Ces salauds-là ricanaient. A cause de ce que j’avais écrit il y a fort longtemps, au temps d’avant, au temps de la folie intégrale, des sites qui se créaient comme des exploits (1). Dans mes songes, ces petits jeunes se foutaient bien de ma gueule de vieux con. Je m’étais planté sur toute la ligne. Ou presque. En gros, en 1996, j’avais tout lâché, par fatigue, les désillusions triomphaient, j’étais mort, le web commercial progressait et tout (m’)indiquait que nous allions mourir. Mourir devant la course à la technique. La course aux plugs-in. La course au web animé, Flash-y et compagnie.
Et puis, ce fut le réveil. Les jeunes adultes étaient là, autour de mon Mac. Ils riaient plus fort encore en me montrant leur drôle de joujou : le php. Une langue étrangère, une nouvelle langue à apprendre, syntaxe neuve, et potentialités infinies. Fallait les voir, les drôles ! Leurs mots sonnaient comme des trésors : « bases de données », « dynamique », etc.
L’un d’eux s’appelait Erwan (2). Un autre Laz (3). Un troisième Arno* (4). Un quatrième Florent (5). Que des petits morveux, plein de forces et d’énergie. Alors, c’était reparti. Fallait plonger, se noyer, ramer, et ramer encore. Dis, maman, c’est encore loin, le php ?
Puis du Venezuela est arrivé phpNuke (6). Dans son coin, un dénommé Francisco Burzi fuyait sa vie dans l’écriture de son programme. Des nuits, des jours, du soir au matin, Burzi écrivait des lignes et des lignes de code. Son but : fournir un programme, libre et gratuit, permettant à quiconque d’éditer son propre site en php. Dans leur chez eux, des dizaines, puis des centaines, puis des milliers, de webmestres testaient alors ses écritures, presque saintes. Nous étions à l’été 2000.
Peu à peu, la chose prenait corps. C’est ici et là que ça se passait. Dans le plus pur esprit « open source ». Tous des maçons, chacun apporte sa pierre à l’édifice. Il y a le plombier, le décorateur, l’architecte, que des gens qui ne se connaissent pas, se connaîtront sans doute jamais, tous unis dans un même but : faire progresser le bordel. Déjà, ici ou là, des tensions naissaient. Des gens partaient, d’autres claquaient la porte. Mais la maison avait déjà ses fenêtres, une cave, bientôt un toit promettait-on. Lui, il traduisait phpNuke en Chinois. Elle, elle se proposait pour écrire un module supplémentaire. Eux ne comprenaient rien, posaient des questions, et il se trouvait toujours une bonne âme pour leur répondre. Fallait que ça rentre, coûte que coûte. Parfois, la maison Nuke avait une drôle de gueule. Les soubassements croulaient sous le poids. Fallait remonter la charpente. Et voilà, les choses se passent ainsi. Dans le bordel et l’énergie. Avec leur Nuke, certains éditent le site de leur association de défense d’un paysage menacé, d’autres font du Linux-News, lui, un annuaire Gay, ceux-là un site purement commercial.
A l’origine : un homme. Puis, un esprit qui se dégage. Des gens qui se regroupent. Et puis, maintenant, la société MandrakeSoft qui héberge la maison-mère de Nuke et vient d’engager son créateur (7). Le commerce qui reprend le dessus mais sans altérer (pour l’heure, du moins) l’esprit. Voilà, c’est ça, l’« open source ». Des rencontres et de la solidarité. Un rêve éveillé (8 && 9).
Un merci tout particulier à Pascal R.
Davduf, 23/02/2001.