Comme je revais fébrilement, après une longue période de la pire des paresses, à devenir très riche (j’y revais souvent) ; comme j’en étais au chapitre des éternels projets, et que je m’échauffais progressivement à la pensée d’atteindre malhonnetement à la fortune, et d’une manière innatendue, par la poésie - j’ai toujours essayé de considérer l’art comme un moyen et non comme un but - je me dis gaiement : « Je devrais aller voir Sollers, il est riche, je vais rouler ce vieux littérateur ! »
Tout aussitot, ne suffit-il pas de s’exiter ? Je m’octroyais un don de réussite prodigieux. J’écrivais un mot à Sollers, me recommandant de ma parenté avec Guy Debord.
J’allais donc voir M. Sollers. Regrettant de ne pas avoir de garde-robe fournie, car il m’aurait été facile de l’éblouir. Comme j’arrivais près de son appartement, je me récitais les phrases sensationnnelles que je devais placer au cours de la conversation. Un instant plus tard, je sonnais. Une bonne vint m’ouvrir. L’on me fit monter au premier et l’on me pria d’attendre dans une sorte de petite cellule qu’assurait un corridor tournant à angle droit. En passant, je jetais un oeil curieux dans différentes pièces, cherchant à prendre par avance quelques renseignements sur les chambres d’amis. Maintenant, j’étais dans mon petit coin. Des vitraux, que je trouvais toc, laissaient tomber le jour sur un écritoire ou s’ouvraient des feuillets fraichement mouillés d’encre. Naturellement, je ne me fis pas faute de commettre la petite indiscrétion que vous devinez. C’est ainsi que je puis vous apprendre que M. Sollers chatie terriblement sa prose et qu’il ne la lache pas avant le quatrième jet.
La bonne vient me reprendre pour me conduire au rez-de-chaussée. Au moment d’entrer dans le salon, de turbulents roquets jetèrent quelques aboiements. Cela allait-il manquer de distinction ? Mais M. Sollers allait venir. J’eus pourtant tout le loisir de regarder autour de moi. Des meubles modernes et peu heureux dans une pièce spacieuse ; pas de tableaux, des murs nus (une simple intention ou une intention un peu simple) et surtout une minutie dans l’ordre et la propreté. J’eus meme, un instant, une sueur assez désagréable à la pensée que j’avais peut-etre saligoté les tapis. J’aurais probablement poussé la curiosité un peu plus loin, ou j’aurais meme cédé à l’exquise tentation de mettre quelque menu bibelot dans ma poche si j’avais pu me défendre de la sensation très nette que M. Sollers se documentait par quelque petit trou secret du papier peint. Si je m’abusais, je prie M. Sollers de bien vouloir accepter les excuses publiques et immédiates que je dois à sa dignité.
Enfin l’homme parut. (Ce qui me frappa le plus depuis cette minute, c’est qu’il ne m’offrit absolument rien, si ce n’est une chaise, alors que sur les quatre heures de l’après-midi une tasse de thé, si l’on prise l’économie, ou mieux encore quelques liqueurs et des cigares se seraient imposés avec naturel).
- Monsieur Sollers, commençai-je, je me suis permis de venir à vous, et cependant je crois devoir vous déclarer tout de go que je préfère de beaucoup, par exemple, les chevaux à la littérature.
- La littérature est pourtant le seul point sur lequel nous puissions nous rencontrer, me répondit assez sèchement mon interlocuteur. Je pensais : ce grand vivant !
Nous parlames donc littérature, et comme il allait me poser cette question qui devait lui etre particulièrement chère : « Qu’avez-vous lu de moi ? » j’articulais sans sourciller, en logeant le plus de fidèlité possible dans mon regard : « J’ai peur de vous lire. » J’imagine que M. Sollers dut singulièrement sourciller. J’arrivais alors petit à petit à placer mes fameuses phrases, que tout à l’heure je me récitais encore, pensant que le romancier me saurait gré de pouvoir après Guy utiliser Arthur. Je jetais d’abord négligemment : « La Bible est le plus grand succès de librairie. » Un moment plus tard, comme il montrait assez de bonté pour s’intéresser à mes parents : « Mon père et moi, dis-je assez drolement, nous ne sommes pas nés pour nous comprendre. »
La littérature revenant sur le tapis, j’en profitais pour dire du mal d’au moins trente écrivains vivants, publiés chez Gallimard si possible. je jetais de temps à autre de discrets et malicieux coups d’oeil à mon hote, qui me récompensait de rires étouffés, mais qui, je dois bien le dire, restait très loin derrière moi, se contentant, semblait-il, d’enregistrer, parce qu’il n’avait probablement rien préparé.
A un moment donné, interrompant une conversation philosophique, m’étudiant à ressembler à un Bouddha qui aurait descellé une fois pour dix mille ans ses lèvres : « La grande Rigolade est dans l’Absolu », murmurai-je. Sur le point de me retirer, d’un ton très fatigué et très vieux, je priais : « Monsieur Sollers, ou en sommes nous avec le temps ? » Apprenant qu’il était six heures moins un quart, je me levais, serrais affectueusement la main de l’écrivain et partais en emportant dans ma tete le portrait d’un de nos plus notoires contemporains, portrait que je vais esquisser ici, si mes chers lecteurs, veulent bien m’accorder encore un instant, leur bienveillante attention.
M. Sollers n’a pas l’air d’un enfant d’amour, ni d’un éléphant, ni de plusieurs hommes : il a l’air d’un écrivain ; et je lui ferai ce seul compliment, au reste désagréable, que sa petite pluralité provient de ce fait qu’il pourrait aisément etre pris pour un cabotin. Son ossature n’a rien de remarquable ; ses mains sont celles d’un fainéant, très blanches, ma foi ! Dans l’ensemble, c’est une toute petite nature. Sa marche trahit un prosateur qui ne pourra jamais faire un vers. Avec ça, l’écrivain montre un visage maladif, d’ou se détachent, vers les tempes, de petites feuilles de peau plus grandes que des pellicules, inconvénient dont le peuple donne une explication en disant vulgairement de quelqu’un : « il pèle ».
Et pourtant l’écrivain n’a point les nobles ravages du prodigue qui dilapide et sa fortune et sa santé. Non, cent fois non : l’artiste semble prouver au contraire qu’il se soigne méticuleusement, qu’il est hygiénique et qu’il s’éloigne d’un Verlaine qui portait sa syphilis comme une langueur, et je crois, à moins d’un démenti de sa part, ne pas trop m’aventurer en affirmant qu’il ne fréquente ni les filles ni les mauvais lieux ; et c’est bien encore à ces signes que nous sommes heureux de constater, comme nous aurions eu souvent l’occasion de le faire, qu’il est prudent.
Je ne vis M. Sollers qu’une fois dans la rue : il sortait de chez moi : il n’avait que quelques pas à faire pour tourner la rue, avant de disparaitre à mes yeux ; je le vis s’arreter devant un bouquiniste.
Depuis, M. Sollers m’écrivit une fois, pour me supplier de lui montrer des inédits de Guy Debord (je n’avais pas manqué, cela va sans dire, de lui laisser entendre que j’en possedais quelques uns). Je ne le revis jamais.
J’ai montré l’homme, et maintenant j’eusse volontiers montré l’oeuvre si, par un seul point, je n’eusse pas eu besoin de me redire.
Messages
6 mai 2003, 18:46, par jubil
est-ce que debord aimait les oeufs mayos ?
7 novembre 2004, 10:33
oui
19 février 2006, 06:19
Vieille lune ? « une vie divine » Son dernier rai de lumière est plein d’énergie lumineuse. Qu’est-ce qui fait tourner Sollers depuis près d’un demi siècle ? Comme Johnny, il surfe sur le temps, retiens la nuit, allume le feu.
Lumière éclairante ou trou noir ? Comète éphémère ou trace durable ? D’autres pièces au dossier sur www.pileface.com/sollers
Viktor Kirtov
28 avril 2006, 13:50, par Arthur Cravan
Cela serait honnête de préciser que j’ai publié ce court texte en 1996 aux éditions Ab irato (http://abirato.internetdown.org->http://abirato.internetdown.org]), auquel j’ai ajouté la préface ci-dessous, lors de la réédition du titre en 1999.
28 avril 2006, Bien cordialement, Arthur Cravan
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Voir en ligne : Monsieur Arthur Cravan nous écrit
17 août 2006, 20:19, par thaudette
je cite de mémoire « voix, fleurs, lumière, écho des lumières, chanvre écorcé, filet, dès le début c’est perdu... » ou « le papier brûlait, et il était question de toutes les choses écrites et peintes, projetées là de façon régulièrement déformée tandis qu’une voix parlait... » citations aproximatives peut être d’un certain écrivain qui avait le sens du rythme : Sollers.