Webdocs et droits d’auteurs

Par David Dufresne, 12 janvier 2015 | 9832 Lectures

Autrement dit : désormais, toute œuvre interactive diffusée sur le web, dûment déclarée à la Scam1, donne droit à quelques revenus de diffusion à ses créateurs.

Par commodité de langage, on dira : des droits d’auteurs.

Par honnêteté, on reviendra en détails ci-dessous sur les montants.

Le rôle du service public

Mais d’abord, par souci de précision, on s’empressera de détailler que la dite oeuvre devra avoir été diffusée gratuitement par Arte, ou France Télévision ou Radio France ; les seuls diffuseurs à avoir pour l’heure conclu un pacte avec la Scam...

Arte, France Télévision ou Radio France : une fois encore dans le débroussaillage, c’est le service public qui dégaine le premier. Quand, tapie dans l’ombre, Canal + continue à ne pas prendre le moindre risque, hors fiction et hors branding-machin-chose, et à jouer sa part d’ancienne-chaîne-qui-savait-innover ; sans parler des autres diffuseurs privés, perdus pour la cause depuis lurette.

C’est ainsi qu’en lisant leur dernier relevé de droits, à la fin de l’année 2014, certains réalisateurs ont donc eu la (bonne) surprise de découvrir que leur travail sur le web méritait la même considération que sur les écrans TV. Enfin, presque.

Voici le premier tableau de répartition, tel qu’il est en vigueur :

Autrement dit, sur le Net, c’est (pour l’heure) le mode forfait qui prévaut. A l’inverse de ce qui se pratique en télévision, où les droits sont calculées à la minute-antenne, le montant est identique quelque soit la durée de l’« œuvre délinéarisée » (terme retenu par la Scam pour définir le genre2).

Si on comprend aisément qu’il faut bien commencer par un premier accord, on devine aussi que ce genre de calcul forfaitaire risque de ne pas tenir longtemps : quel sens cela a-t-il de verser le même montant à une expérience de quelques minutes offertes à un internaute, comme à une série de documentaires interactifs s’étalant sur plusieurs semaines ?

Autre interrogation, droits TV versus droits web.

Prenons un exemple, un peu jauni, certes, mais que je connais un petit peu, pour comparer les deux : Prison Valley :-)

Lors de sa première diffusion télévisée (Arte, 2010), la version linéaire de Prison Valley a rapporté 59 minutes x 70 € la minute = 4130 € (bruts) à Philippe Brault et à moi-même, co-auteurs.

Les mêmes images, servant de colonne vertébrale à la version web de Prison Valley (construit sur le modèle arêtes-de-poisson), viennent de nous rapporter 831 € (bruts), pour l’exploitation du site en 2010, 2011, 2012 et... 2013.

En d’autres termes : la version TV « vaut » cinq fois plus que la version web. Et encore, sans compter les rediffusions télé ici ou là... Et sans parler, ici, de la plus-value du web : liberté de navigation, séquences inédites, débats, interface et interactivités du site, etc.

Pas question de railler, et encore moins de râler ici-bas. Car, comme le dit la note de la Scam qui accompagne le premier barème : « Il y aura éventuellement lieu de parfaire ces montants (...) une fois acquise une meilleure connaissance de ces exploitations. »

Pour être tout à fait complet, ce premier versement de la Scam doit se comprendre pour ce qu’il est : une sorte d’« avance » (des « montants provisionnels de droits »), avant l’adoption de critères plus précis quant à la manière de valoriser les œuvres.

La question est aujourd’hui moins dans ces maigres montants que dans le symbole qu’ils constituent. Moins dans un quelconque tableur Excel que dans ce qui se trame à la Commission des écritures et formes émergentes de la Scam. Moins dans un modèle économique chimérique que dans les avancés pied à pied.

La question est aujourd’hui moins dans ces maigres montants que dans le symbole. Moins dans le tableur Excel que dans ce qui se trame à la Commission des écritures et formes émergentes de la Scam. Moins dans un modèle économique chimérique que dans les avancés pied à pied.

Après le CNC, et son Web-Cosip (une automatisation des aides à la production sous certaines conditions), cette volonté de la Scam et du service public envoie en effet un signal à toute l’industrie --- et on boudera pas notre plaisir : le champ du documentaire interactif relève bien du regard d’auteur, donc de ses droits et devoirs, du moins quand l’œuvre proposée produit du sens et livre un point de vue (ce qui n’est pas le cas de tous les webdocs, loin s’en faut, mais ceci est un autre sujet).

Une petite dizaine d’années après les premiers idocs, la nouvelle mérite d’être soulignée. Et continuons : ateliers d’écriture, résidences d’artistes, bourses, hackathons, d’autres combats se profilent.

Bonne année à tous. On va se marrer.

1Pour faire vite : la Scam, société civile des auteurs multimedia, est une société dite de répartition, qui conclut des accords financiers avec les diffuseurs pour les reverser aux auteurs.

2La Scam écrit : « Les exploitations délinéarisées concernent, entre autres, des formes de création faisant converger les différents genres d’expression créative au sein d’une œuvre multimédia, interactive ou non, susceptible de relever du répertoire de la Scam dès lors qu’elle ne présente pas un caractère dramatique. »

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Messages

  • 4130 + 831 : 2, ça fait pas lourd, mais si je peux me permettre on doit pouvoir trouver un avocat qui idéalement introduirait un recours pour escroquerie en bande organisée ?

    Et demanderait pour préjudice moral genre 500 000 euros (chacun of course), tu me reconnaitras bien là.

    Une fois fait QPC et tu descends tout le bastringue, on médiatise un brin, si toutefois le Valls Act nous en laisse le loisir.

    Ici la FNSEA le fait très bien, si on est pas cap de faire pire, c’est bien Houlebbacq qu’aura gagné.

    Feliz companeos.

    Voir en ligne : http://www.eauxglacees.com

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