L’iPad est arrivé, comme convenu, dans une sorte de choc spatio-culturel. Mon relais colis, c’est la mercerie du village, avec ses dames aux cheveux gris et ses boutons pour robes fleuries.
La « bête », l’iPad, était donc là ; dans sa boîte en carton et dans son minimalisme appleien. Juste une boite, deux bouts de fils, une notice qui tient en un recto-verso, et c’est tout. Je n’ai aucune sympathie pour la marque Apple, parce qu’elle est justement une marque. Mais son minimalisme me charme. C’est un piège, c’est un cheval de Troie, un mensonge, un tour de force, un exemple indépassable. Faire croire que tout est simple, avant le grand plongeon infini.
Chose curieuse, j’attends. Chose curieuse, je délaisse la bête à sa boîte. J’ai une pensée émue pour tous ces mac-maniaques qui, dès qu’un produit Cupertino sort, se précipitent, filment, photographient, détaillent, leur moindre déboîtage (upboxing, disent les Américains qui savent bien que notre rapport aux machines est un match que l’on livre sans cesse et que, chaque minute, c’est sur le ring que ça se situe). On sent dans ces instants, dans ces gestuelles, beaucoup d’obsession à la fois pathétique et magnifique. On sent ces geeks transportés, ailleurs, en état de transe, de lévitation, comme quand on était jeunes et qu’on pogotait : un voyage dans l’enfance, et le tout est permis. Sauf qu’aujourd’hui, le transporteur en chef, chauffeur de bus scolaire, Steve Jobs, est devenu très tatillon. Et franchement pénible.
Sur twitter, quelques heures auparavant, Emmanuel Paradoy m’a demande si, des fois, avec cette chronique, je ne ferais pas « dans le pathos bobo ? ». Emmanuel n’est pas n’importe qui. Il est l’un des responsables de cbsinteractive.fr, un éditeur qui annonce 60 millions de pages vues par mois. C’est aussi un vieux complice de l’Internet d’avant.
Mais non, Emmanuel, tu n’y es pas. Cet iPad qui va surgir de sa boîte, dans un instant ; et dans ma vie, pour un temps, ce n’est pas un gadget de classe moyenne. C’est une perceuse, un pétrin, c’est un outil de travail. Il n’y a rien de plus beau que de parler d’outils de travail, rien de plus intense qu’un salon pour professionnels, tous corps et tous métiers confondus. Mes états d’âme sont une simple invitation à nous comprendre en train de changer [ de | le | notre ] monde. Ou, comme le dit Martin, à « réfléchir à notre dépendance à la consommation et à notre soumission en fait. »
Alors, pour commencer, je mens au chauffeur — comme en atteste cette copie d’écran comme preuve dérisoire. J’ai moins de cinq ans, et je suis retraité.
La suite au prochain numéro.