Adieu, bel oiseau twitter que j’ai tant aimé

Par David Dufresne, 16 janvier 2025 | 4163 Lectures

Mon cher oiseau bleu,

On s’est tant aimés, tellement fréquentés, combien de nuits tes gazouillis m’ont flingué.

Mon cher Twitter, quand tu es arrivé, avec ta sobriété, tes 140 signes, ce blanc partout, ça rappelait l’irruption de Google, dix ans plus tôt, qui tranchait avec les moteurs de recherche de l’époque, si bavards et si criards ; comme toi, tes hululements sonnaient si justes face aux facebookeries du monde.
Parce que Google, justement, était passé par là, on ne se faisait pas beaucoup d’illusions. On sentait bien que tes chants n’étaient faits que pour nous happer, nous piéger, nous foutre dans ta putain de cage.

C’était en janvier 2008, mon premier tweet. Dix-sept ans. Dix-sept ans de ma vie que tu m’as pris, avec mon accord, ma santé et mon corps.

En 2010, il y eut l’expérience Prison Valley, notre web-documentaire avec Philippe Brault et Upian. Pour y déambuler, se logger avec un compte Twitter était la meilleure porte, un plan d’évasion à lui seul. En une nuit, on avait foutu un bordel monstre sur les timelines françaises. Il y avait peu de monde, une nuit durant, on était les rois de ce sous monde-là. Des milliers de twittos racontaient leur voyage, leurs amis s’inquiétaient : que foutaient-ils au fin fond du Colorado à visiter les prisons privées américaines ? C’était l’heure d’un Twitter inventif, accueillant, où l’on postait des propositions, des conseils, où des débats pouvaient naître. Ça nous ramenait aux newsgroups des années 90, quand la nétiquette était la seule loi qui valait.

Et puis, huit ans plus tard, on a pris notre envol ensemble, mon magnifique oisillon bleu. Sans toi, jamais il n’y aurait eu la campagne Allo Place Beauvau, où je tentais, avec d’autres, d’interpeller politiques et médias sur les violences policières et les violences d’État. Tu incarnais encore David contre Goliath, tu avais changé le monde. Déjà #MeToo, bientôt #BlackLivesMatter. On savait bien que le ver était dans ta becquée, que tu vendais notre attention au plus offrant, au moins regardant, mais il y avait comme un pas-de-deux, une chorale à deux : je t’ouvre ta cage, tu me prends sous tes ailes. Quel outil démocratique extraordinaire, une forme de démocratie directe en acte où chacun pouvait s’exprimer, sans invectives, sans armées de trolls sous payés, sans bonus à la haine.

Je t’ai aimé, mon piaf, toi et ta tweet-poesie Dada. Mais tu t’es vendu à Musk, qui s’est lui-même offert à Trump. Contrairement à ce que je lis ici ou là, je ne t’abandonne pas à l’extrême droite, c’est toi qui t’es abandonné à elle. Le combat est déloyal, le débat impossible, tes algos truqués. Comme au milieu des années 1990 quand le Net a tout changé pour moi, je crois toujours dans les TAZ, ces zones d’autonomies temporaires, ces ilots de liberté arrachée. Tu n’en es plus. Tu n’es plus ce bel oiseau bleu chétif, tu ne le seras plus jamais : corbeau du monde, tu es devenu.



Lundi 20 janvier 2025, jour de l’investiture de Trump, je ne serai plus là. Elon-Lornitologue sera promu membre supreme de l’administration Trump II.

Permets moi, triste et déterminé, de t’embrasser une dernière fois.
 Bon vent à toi.

Si tu veux, je suis et ici.

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