drancy

aloïs brünner, la traque

Par David Dufresne, 27 juillet 1999 | 12474 Lectures

Brunner
Brunner
Dans les années 1940

Il fut un nazi de la première heure, encarté dès 1931. Il fut l’adjoint d’Eichmann, directement impliqué dans la déportation de plus de 120 000 juifs, au gré de ses postes en Autriche, à Berlin, Salonique, Drancy, ou en Slovaquie. En 1987, dans une interview accordée au Chicago Sun Times, l’homme se montrait comme il fut : un nazi. Qui ne regrettait rien. « Les juifs exterminés ont mérité de mourir. Ce sont des enfants du démon et des déchets humains. Je n’ai aucun regret et je le ferais encore ». Il y a quelques jours, le parquet de Paris a requis contre Aloïs Brünner son renvoi devant la Cour d’assises. Poursuivi pour crimes contre l’humanité, Brunner pourrait être jugé l’an prochain. A Paris, à quelques kilomètres de Drancy. Un procès qui mettrait alors un terme à douze ans d’instruction. Mais un procès par contumace, sans l’intéressé. Parce que supposé mort. Ou pour le moins bien planqué.

C’était le 20 juin 1943. Aloïs Brünner visite le camp de Drancy (Seine Saint-Denis) pour la première fois. Il est l’envoyé d’Eichmann, exédé par le ralentissement des déportations. Fanny Selgoh, 18 ans, se tient à la fenêtre du 4ème étage de l’escalier 14. Elle se souvient de « ce jour là », de la consigne de « ne pas sortir des blocs ». « Nous regardions Brunner inspecter les lieux. Par jeu, j’ai envoyé de l’eau à mes camarades du 1er étage. Et Brünner a dit : « elles ont bien raison de rire, ça va bientôt finir » ». Trois jours plus tard, Fanny Selgoh sera déportée sous la matricule 46571 à Auschwitz-Birkenau. A Drancy, à une autre fenêtre, il y a Donna Corte-Bahsi. Qui se souvient de la table dressée au centre du camp par Brünner. Des deux mille interrogatoires menés personnellement par le SS. De la vie du camp « qui a complètement changé », des colis interceptés, des visites suspendues. Et des « yeux gris-vert » de Brünner que Donna Corte-Bahsi fixait lors de l’interrogatoire, à la table, « pour l’affronter et surmonter ma peur ». Ou du même ramassant une pierre et la jetant sur un interné, sans raison : « comme un jeu sadique, comme il ne l’aurait pas fait pour un animal ».

Le même
Le même
1985, quelque part en Syrie.

C’était Drancy le camp. Drancy sous la coupe de Brünner, flanqué de ses SS autrichiens, et des gendarmes français, affectés à la surveillance extérieure du camp. Un Brünner, qui pousse la cruauté à améliorer le quotiden pour mieux pieger ses prisonniers. Affichage de menus, échanges de francs français en zlotyzs polonais pour faire croire aux futurs déportés à une installation facile à Auschwitz, peintures refaites et même plantation de pelouse - celle-là même qui orne aujourd’hui encore le camp de Drancy devenu cité HLM. En un an, ils seront environ 25 à 30000 juifs à être déportés depuis Drancy par Aloïs Brünner. Et à vivre, comme le rappelle Marchel Eskenazi, président de l’Amicale des anciens internés, déportés et familles du camp de Drancy, « sous la terreur, les coups et la torture ». Puis, c’est le 21 juillet 1944, qui vaut aujourd’hui au SS-Hauptsturmführer d’être poursuivi : il rafle 241 juifs dans une demi-douzaine de centres d’enfance de la région parisienne. Dix jours plus loin, tous partiront par wagons plombés à Auschwitz. Deux cents de ces prétendus « futurs terroristes », enlevés parfois dans des pouponnières, n’en reviendront pas. Ensuite, c’est le dépar de Brünner, le 17 août 44, pour un autre camp. Pour d’autres morts : 13 000 juifs du camp de Sered (Slovaquie). Puis, la traque.

En 1946, on dit Brünner en Allemagne. La France lance un premier mandat d’amené. En vain. C’est alors qu’en 54, puis en 56, le nazi est condamné par contumace à la peine de mort, à Marseille puis à Paris. Pour son rôle en France, mais pas pour les enfants déportés du 31 juillet. Qui ont été oubliés dans l’acte d’accusation. Faute de le retrouver, Aloïs Brünner est amnistié vingt ans plus tard. Dans les années 50, le Sdece le localise à Damas. Au tournant des années 60, le service le soupçonne de fournir des armes au FLN et de s’être vu confié par les autorités syriennes quelques tâches de sécurité. A son tour, le gouvernement allemand demande son extradition. Mais, rien. Brunner vit sous bonne garde. En 1977, un diplomate français révèle qu’il joue les conseillers auprès du fondateur des services de sécurité syriens. Toujours rien. Sauf un attentat, au colis piégé, qui lui arrache un œil et une main. Entrent alors en scène les Klarsfeld, avocats et chasseurs de nazis. Ça fait des années qu’ils pistent Brünner. Qu’ils dressent, aussi, la liste des enfants qu’il a raflés le 21 juillet 1944. Qu’ils retrouvent leurs photos, receuillent des témoignages. En 1982, Serge Klarsfeld tente le tout pour le tout. Il se rend en Syrie. Mais c’est l’expulsion. Serge et Beate Klarsfeld le seront quatre fois dans les années 80.

C’est alors qu’à Lyon, en 1987, un autre dirigeant nazi est condamné. Klaus Barbie tombe pour les enfants d’Yzieu. Pour Serge Klarsfeld, la victoire est double. Sur le modèle de Barbie, qui fut déjà condamné par la France, mais par sur les enfants d’Yzieu, l’avocat peut porter plainte contre Brünner. A propos des enfants raflés le 21 juillet 1944. En terme juridique, on appelle cela un « fait nouveau ». L’instruction, menéee successivement par les juges Grethier, Getti et Stéphan, démarre. Elle sera, selon Serge Klarsfeld, « ralentie par l’espoir d’une coopération de la Syrie ». Mais rien n’y fera. Ni les manifestations, ni les discussions de président à président, de Chirac à Hafez El Hassad. Pourtant, les juges ne lésinent pas. Comme Hervé Stéphan, qui multiplie les commissions rogatoires internationales. Envoie les gendarmes explorer toutes les pistes : Argentine, Uruguay - qui ne donnent rien. Ou se rend lui-même en Espagne, en 1995, entendre un ancien général de la Wermacht et ami de Brünner, Otto Remer. Qui lui confirme finalement que l’ancien de Drancy vit bien en Syrie. C’est que personne ne croit vraiment aux rumeurs de la mort de Brünner, qui serait survenue en 1992 et qui n’a jamais été confirmée par sa fille. Impossible, par exemple, pour le magistrat d’aller vérifier sur place si Aloïs Brunner, alias Georg Fisher, vit bien au 7 rue Georges Haddad, comme l’affirment plusieurs témoins. Si des obsèques chrétiennes ont bien été célébrées en son honneur, ou encore dans quel cimetière l’ancien SS serait enterré. Qu’importe. Fin juillet, l’instruction est close. Le parquet peut requérir. Et pour Serge Klarsfeld, la tenue du « dernier procès des derniers ciminels nazis », même par contumace, est un soulagement. Enorme. « Pour faire revivre les victimes. Et qu’elles ne sombrent pas dans l’oubli ».


Fin juillet 1999, le parquet de Paris avait requis le renvoi du nazi Alois Brunner, lieutenant d’Eichnmann, devant la cour d’assises de Paris. Pour crimes contre l’humanité. Comme le veut la procédure, le juge Hervé Stéphan, qui a mené l’instruction, a demandé hier la même chose. Aloïs Brunner, dont personne ne sait avec exactitude s’il est toujours vivant, ou non, risque donc d’être très probablement jugé par contumace. Il ne reste plus qu’à la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Paris de fixer les dates. Une formalité, précise-t-on de source judiciaire. Né en 1912, en Autriche, nazi dès 19 ans, et de la première heure, « l’ingénieur de la solution finale », un temps chef du camp de Drancy (Seine Saint Denis) est poursuivi pour la déportation de 250 enfants juifs, qu’il avait fait rafler en juillet 1944. Sous ses ordres, et du même camp, Aloïs Brunner avait également déporté 24.000 juifs entre 1943 et 1944. Autant de crimes pour lesquels l’homme sans regret avait été condamné par deux fois par contumace, avant d’être amnestié, faute d’être retrouvé. Pourtant, depuis 1954, Aloïs Brunner était localisé avec certitude en Syrie, par différents services de renseignements, puis par l’avocat Serge Klarsfeld.

En mars 2001, Aloïs Brunner a été condamné par contumace à la prison à perpétuité.

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