Un jour de juin 2004, une main délicate dépose une brève sur davduf.net. Elle parle d’un musicien inconnu, déjà vieux, sans doute malade, probablement un type à sauver d’urgence autant qu’à écouter, un type qui sort un CD intitulé « Le Sarkozy du disque » comme d’autres exhibent leur flingue avant l’assaut final. Le type s’appelle Le Vieux Thorax - et il vient de changer ma vie.
D’abord, un hymne, donc : « Le Sarkozy du disque ». Son hymne, le mien, le tien (à venir). C’est pas fréquent les hymnes. Il y en a... quoi... un par décade ? « Be Bop A Lula » ? « My Generation » ? A tout casser. « God Save The Queen » ? « She watch Channel Zero », sans doute. Et puis, ça, le météorite : « Le Sarkozy du disque ». Cinq titres, tout une vie, et basta. « Le Sarkozy du disque » : le son d’aujourd’hui pour les thorax encrassés de l’époque, tout dans le sample, la folie du monde en action et en copié-collé-détourné, le groove lo-fi (dit-on) façon home-studio-rigolo. Où comment chauffer les esprits à coup de cha-cha jungle. Comment prendre au mot l’impossible Major. Soit la mise en son d’une interview croisée sur France Inter de Pascal Nègre (ci-devant Grand Manitou d’Universal Music France et pourfendeur numéro uno des méchant(ant)s pirates qui P2Pillent) et de Patrick Zelnick (producteur de musique qui ne fut pas toujours indépendant). « Le Sarkozy du disque », publié à cent exemplaires (+ les téléchargements), c’est la musique de maintenant, celle qui répond, qui mord, froisse, fracasse, tourne, retourne, contourne, détourne, c’est la réponse du berger à la bergère, les moutons se révoltent, baby. Un résumé binaire en une poignée de secondes. Du facile, du modeste, quand, partout, les virtuoses s’étalent de leur ennui. Pour une genèse complète de l’hymne, cf. l’interview ci-dessous. Le Vieux y dit tout (et le reste est ici1).
« Qu’est ce que tu caches derrière ton dos ? Mais, mais c’est un désintégrateur »
La suite ? De la Musique Plaisir au Cube, du MP3 en rafale. Cinq jours à traquer tout ce qui est possible sur le Net, la moindre trace du Vieux, la moindre pépite, le plus petit Wax du Thorax, la moindre distorsion, le moindre « rarities » comme il dit (tu parles !). Tenter de retracer le destin du bonhomme, et quel destin ! Chanteur oublié de supermarché fermé, on fait pas mieux : « Le Vieux Thorax à Radar géant » est le nom d’un de ses albums... Comprendre au fil des jours et des bits qu’on a à faire à un génie de l’art pauvre, un Garagiste du sample, un « Indiana Jones du bac à sable » et des bacs à disques, un gars de Reims, et à-ce-qui-paraît-à-Reims-y-aurait-eu-une-sacrée-scène-rock (cf. l’interview), un raconteur d’histoires fausses, tellement plus vraies que toutes les conneries de la chanson rock française (Bénabar, Mickey 3D, Delerm, qui d’autre ?), à un gars po-tache dans un univers qui nous vend du zéro défaut, du propre sur soi, de l’enculé conception.
Dans un de ses morceaux, une voix dit : « Qu’est ce que tu caches derrière ton dos ? Mais, mais c’est un désintégrateur ». Désintégrateur ? Le mot sonne juste. El Old Thorax est un dés-intégrateur. Il emprunte aux Pistols (« Submission »), pille les meilleures sources (les 60’s Garage : « Pebbles », « Back From The Grave »), extirpe la quintessence des Specials, invente le Diddley Techno Beat, ce n’est pas rien, et ré-intégre l’ensemble à sa sauce, avec ou sans caquetages de poules. Pourquoi faire de la guitare-basse-batterie, pourquoi devenir combo quand on peut être solo au monde, quand un Amiga 600 peut justement changer ton monde, radicalement ? Avec le Vieux Thorax, les chansons retrouvent l’éclat des chansons de moins de deux minutes : elles racontent des contes modernes, des petites bluettes du coin de la rue. Elles regorgent de méchants, d’infos triturées, de tortures rythmiques, de gaie pollution. Des personnages les peuplent, ça vit, bordel, ça vibre - et ça te fait sortir de ta rouille. Tu te croyais vieux, le Vieux t’en colle deux. Et c’est reparti. A propos des voix de Pascal Nègre et de Patrick Zelnik dans « Le Sarkozy du disque », Le Vieux Thorax dit plus bas : « il ne s’agissait pas d’influences mais de personnages, avec des gentils ou des méchants, comme on en met dans un film... ». Rock circus, rock cinématique, le Vieux a de l’expérience. Et le Thorax, morceau après morceau, le prouve. Mais il est aussi furieusement de 2004 ; comme nous tous en somme, il est d’aujourd’hui : archiviste de lui même et des autres. La CNIL n’y pourra rien. La mutation est en marche. Elle se nourrit d’Histoire et de disques durs, bibliothèques numériques de nos propres vies, photos, films, samples, textes. Sur un de ses flyers, on lit « Passage de disques non sérieux : pop, twist, baïon, hip-hop, mambo, dub, garage, slow, ska, surf, jerk, merengué, punk, tamouré » C’est quoi, donc, ces styles de vie enfouie, ces baïon, merengué et tamouré ? Lui : « Des styles de danse mentionnés sur les disques d’époque, et par extension des styles musicaux, tous trois exotiques, les deux premiers proches du style cubain (mambo, cha-cha, etc...), et le tamouré, un style hawaïen ». Le style.Le Thorax en est l’incarnation sale, basse, garage. Voir aussi l’entretien à propos de ses contre influences qui font les grands samples (Jean-Pierre Gaillard, Raymond Barre, les B.O. idiotes de films 60’s idiotes).
Radio du Thorax
Et puis, et puis, subrepticement, le virus fait son effet (distorsion) . « Si cet OVNI n’infléchit pas son cap, il se dirige droit sur notre centre » (dans « Réelle Attaque »). Et si... et si... mais oui... Et si cet OVNI, ce Grégoire-là, ce Vieux Thorax, s’il était la Lumière ? Le lien qui manquait ? Le chaînon fonçant droit sur nos certitudes ? Alors, refaire comme à 15 ans, scruter et rescruter les petites notes des petites pochettes devenues immenses pages Web. Y découvrir des noms barbares de gentils logiciels (Sonic Foundry Acid, Magix Music Maker, outils-maison), comme avant des marques prometteuses de fabrique garantie (Fender Statocaster, Fender Telecaster, Ampli Marshall), croire désormais en la promesse de lendemains qui samplent, d’ordinateurs qui chantent. Et les noms de programmes, qui s’accumulent ; de lien en lien, de vagues en divagations, et l’idée, folle, de s’y mettre à son tour - un jour. L’idée, folle, incroyable de ne pas y avoir pensé plus tôt ; l’idée, folle, d’allier mes deux plus belles aliénations, chronologiquement, musique puis informatique. Devenir un jour, qui sait, un Très Vieux Thorax bis pour femmes sans âge et amis finissants.
Aussi, le 27 juin 2004, ce mail.
« Cher Monsieur Vieux Thorax,
Je suis subjugué par votre travail. J’écoute vos extraits du soir au matin.
J’aime votre façon de sampler les EasyBeats et les Tontons Flingueurs. Dali et Giscard. Comment vous interviewer ? Comment recevoir vos MP3 (dans ma gueule) ?
Merci. »
La suite se déroule juste après.
Merci Monsieur.
1Voici le texte qui accompagnait le titre à sa sortie : « Nouveau Vieux Thorax, toujours chez Ta Gueule Records (un label que pour ma gueule)... Le Sarkozy du disque, c’est Pascal Nègre, PDG d’Universal, l’homme qui déclara il y a quelques années à peu près ceci : « qu’on arrête de me dire que les CD sont trop chers, ça coûte à peine le prix de 2 places de cinéma, c’est à dire 3 fois rien » ! Manifestement, les acheteurs potentiels n’avaient pas tout à fait la même notion de la cherté que lui... Mais il n’est jamais à cours de déclarations stupéfiantes comme vous pourrez l’entendre ici. Après les raffarinades, voilà donc les pascale-nègrades. Le CD single (avec ses 4 bonus-tracks ! qui dit mieux ?) devrait sortir courant juin 2004, en 100 exemplaires (une espèce de collector artisanal, donc...) Bonne écoute ! » . Enfin, sachez que « Le Sarkozy du disque » (+ 4 bonus-tracks, 5 euros) est dispo chez 2 bons disquaires parisiens : Born Bad, 17 rue Keller 75011 Paris, Métro Bastille, du lundi au samedi, 12h-20h. Et Bimbo Tower, 5 passage St Antoine, 75011 Paris, Métro Ledru Rollin, du mardi au samedi, 11h-19h (+ lundi 14h-19h).
Messages
11 août 2004, 14:29, par Alain
Hé bé... bravo à ce monsieur, en effet. Je suis allé télécharger certains de ses chansons, il y en a des vraiment bien( d’autres plus facile). Dans l’ensemble,c ’est top !
6 octobre 2004, 22:24, par D.Rick
Le Vieux Thorax, s’il existait pas, je l’aurais inventé !!! Le Vieux Thorax c’est comme un tableau de Combas...De la couleur, de la (fausse ?) naïveté mais aussi et surtout, celui qui m’a « deconstipé » musicalement. Un split CD avec lui quand il veut !
Voir en ligne : D.RICK, electropop en force !