C’est un premier roman, une bombe, dont on sent que l’auteur l’a mûri depuis trente ans. L’auteur c’est Laurent Rigoulet, une plume de Libération passée à Télérama, pour la bio officielle ; un ami de longue date jamais revu depuis quinze ans ; un type discret, qui regarde le monde comme savent faire les myopes : en plissant le front, concentrés vers ce qu’ils voient.
Brûle raconte un quartier, le Bronx ; un moment, le milieu des années 70 ; et un geste : quand un dénommé Kool Herc invente le break, première brique du Rap qui nait du même coup, là, entre les blocks en feu (d’où le titre) et la révolution du son (à venir).
Et c’est au Hevalo que Kool Herc a connu son illumination. Il s’est mis à enchaîner les parties rythmiques, les séquences qui rendaient dingues quand il les passait et dingues quand il ne les passait pas. Il posait deux copies du même disque sur les platines. Quand une séquence s’achevait d’un côté, il la faisait repartir de l’autre, le feu ne faiblissait pas. Il avait le compas dans l’œil, l’aiguille retombait pile dans le sillon, le vinyle craquait comme s’il se déchirait, les tympans sifflaient, et ça n’en était que meilleur.
Un roman vrai, en somme. Où tout est juste, fiction comme non fiction ; où tout sonne à merveille, aphorismes compris.
On sent que Rigoulet a passé des semaines à arpenter les rues qu’il nous décrit à la perfection, qu’il a fait autant de rencontres qu’essuyé de refus. Son ouvrage raconte mieux que n’importe quel essai historique la naissance du rap. Parce que Brûle en fait un récit, un souffle ; pas un événement historique que l’on pourrait retracer, disséquer. Brûle est rap en ce sens : il place le style tout en haut, et le rythme aussi.
Et c’est ainsi que dès le premier quart du film - c’en est un -, on se laisse bercer par les personnages ; certains inventés ; d’autres mythiques, ce qui revient au même, au fond ; et qu’on en oublie presque le sujet affiché : l’invention du Hip Hop, des premiers graffitis, des premières danses, des premiers DJ qui changent tout. C’est dans l’âme humaine qu’on descend, dans ses joies et ses adversités. Brûle devient alors un livre sur les rapports entre les hommes, sur la compétition, un livre sur l’amitié, sur la soif d’argent, de reconnaissance, des salauds qui gagnent à la fin.
C’est une déflagration
- et je vous jure que l’amitié n’a rien à voir avec ce coup de chapeau.