Corona Chroniques, #Jour57

Par David Dufresne, 11 mai 2020 | 214882 Lectures

MERCREDI 1er AVRIL 2020 - JOUR 17

MATIN. L’avocat François Sureau, proche de Macron et des libertés publiques, en même temps, tient le crachoir sur France Inter, et rafle aisément le prix d’éloquence de la quarantaine. L’homme de loi est brillant, diction parfaite, quoique un peu empruntée, grande culture et petites inflexions, l’Histoire en ressort et les petites anecdotes qui font le sel des interviews par téléphone. Son manifeste, Sans la liberté, fut best-seller à l’automne dernier. Sureau y faisait part, et de belle manière, de ses inquiétudes sur le rétrécissement du champ des libertés en France, collectives et individuelles, sans jamais vraiment désigner les coupables : ses amis. Elégance d’avocat, dira-t-on.

Sur Inter, précis, précieux, il revient sur la bataille, guette le danger sécuritaire derrière les périls sanitaires, rappelle qu’« en matière de terrorisme, on nous disait “il faut suspendre la déclaration des droits”, les amis de la liberté demandaient “jusqu’à quand ?” et on nous répondait “jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de terrorisme” », à savoir : jusqu’à la saint-glinglin, bande d’idéalistes.

Du confinement, Sureau voudrait proposer une vision optimiste, c’est la raison subliminale de sa présence sur les ondes, il ne faut pas désespérer les EHPAD, « chaque épreuve porte en elle-même la capacité d’en sortir. » L’entretien tourne au monologue — inexorablement — comme notre isolement en partage tourne au soliloque — fatalement. Dans nos chambres, dans notre cuisine, nos couloirs, notre salon, notre salle d’eau, nos toilettes, anti-chambres d’un ennui lent, à nous, reines et rois de matinales imaginaires et de cachettes-cachots.

Sa meilleure tirade porte sur les injections médiatiques à faire bloc : « J’ai personnellement toujours eu beaucoup de mal avec les rhétoriques du rassemblement : la qualité de la démocratie consiste à civiliser les divisions, à les faire rentrer dans un cadre acceptable qui sert une aventure commune. Le rassemblement, dans l’Histoire, on en a eu des preuves particulièrement sinistres. Je voudrais qu’on en sorte plus civilisés, pas nécessairement tous d’accord ou rassemblés. »

Et puis, sans coup férir, à la toute fin, la vieille tradition contre-révolutionnaire qui surgit, comme de sa boite le diable. Il s’emporte et mélange tout : « Nous sommes la nation française. Nous avons supporté les épidémies, la guerre de Cent ans, la peste, la Convention, la Commune, la Wehrmacht sur les Champs-Élysées ».

APRES MIDI. On sort. Tour du pâté de maisons, quelques pas volés au temps suspendu. Au loin, une tache fluo s’étire dans les airs, du rouge de bas-de-survêtement et du bleu de t-shirt, manches très courtes pour faire ressortir l’effort. C’est Spiderman. On s’approche. Le gymnaste a un corps sculpté agaçant, et une chevelure impeccable, jusque dans cette position intenable, à l’horizontale, tête en bas et jambes en l’air. - À la guerre comme à la guerre, lâche le garçon : quand tu vois ça, t’as qu’une envie, c’est de faire de l’exercice.

Ça : un échafaudage sur quatre étages.

Le super héros tente de m’expliquer, les montants l’aident à durcir ses biceps, les barres c’est les forceps, ou l’inverse, je comprends mal, et ça (un socle de barrière, un bloc noir, comme on en fait plus dans les salles de gym), c’est excellent pour les abdos, ou les dorsaux, ou les deux. Sa joie élastique fait du bien ; sa musique disco sur enceinte bluetooth, nettement moins. L’inconnu me tend sa carte, machinalement et, machinalement, je la prends, à bonne distance, mais à pleines mains, oublieux soudain des mesures. Dans la vie sans Covid, Nicolas est agent immobilier dans les beaux quartiers. A la guerre comme à la guerre. On se salue par un sourire franc, un sourire qui veut dire que, probablement, on ne se reverra pas. C’est la beauté triste et involontaire du confinement : dans la rue, il ne suspend pas que le temps, il nous rapproche. Provisoirement.

Sur Public Sénat, c’est mission d’information parlementaire. Aux aguets, en quête de sens, de signe politique, même le plus infime : je regarde Edouard Philippe et Olivier Véran appelés à se soumettre au contrôle démocratique. C’est Richard Ferrand, en maitre de télé-cérémonie, qui ouvre le bal, et se pousse du col, en sous-Sureau : « Monsieur le Premier Ministre, monsieur le Ministre de la Santé, vous pourrez compter sur tous les députés pour être à la hauteur de l’Histoire ».

Les ministres sont sur place, installés dans une salle de commission de l’Assemblée ; les députés, à leur domicile, par Zoom interposé, chacun dans sa petite case, à attendre confinement qu’on lui donne deux minutes sans possibilité de réplique. Les minutes filent : sur les neuf orateurs de la première heure, huit appartiennent à la majorité, hommes et femmes sandwichs du Macronisme contrôlé. L’opposition est reléguée en second rideau, quand le professeur Salomon démarre sa litanie quotidienne des morts quotidiens, sur toutes les autres chaînes. Poisson d’avril, plan de com’ ou comédie, on ne sait pas bien — ou au contraire on ne saisit que trop — en quoi consiste cette désastreuse parodie en temps de Désastre.

Alors, on passe le temps, on attend, confinés-voyeurs — Dieu que l’Histoire en direct est tristounette quand elle rejoue l’Académie des 9 (vieux jeu télé que les moins de 20 ans…) : on regarde l’intimité des parlementaires, ceux qui ont noué leur cravate, ceux qui lisent leur courriel, qui se caressent le menton, les tempes, les yeux, le nez, les mèches, ou l’iPad, Jean-Christophe Lagarde dans son fauteuil de gamer, ceux qui tweetent (Mélenchon), ceux qui surveillent leur community manager (tous les autres), ceux qui font mumuse avec les filtres-fonds d’écran (Lagarde, encore lui, avec vue sur mer), ceux postés devant des étagères vides, ou enseveli sous les livres (un seul sur la trentaine de députés), une guitare sèche enlacée dans un drapeau tricolore dans le fond (c’est un genre, celui de Joachim Son-Forget), celles qui croisent les bras, et ceux qui ne croient en rien, ceux qui font passer des messages à leurs électeurs, avant la pause pipi ; celles, enfin, avec escalier droit derrière elles ou ceux avec colimaçon.

La farce vire au conseil de classe, à qui se fera le plus sirupeux, en pôle position pour l’année d’Après. A ce tarif, il faut reconnaître que le proviseur Edouard Philippe surclasse les élèves. En un mot, il impressionne (au sens vernis du terme : qu’on applique sur une surface absorbante). Il se donne du mal, armé d’un classeur à l’ancienne, avec feuilles sous plastique et chiffres en cascade ; il est à fond, le seul à croire vraiment en cette causette (le seul, aussi, à jouer ici concrètement sa propre existence sociale : sa réhabilitation). Au point de frôler l’incident diplomatique avec l’Allemagne (quand il met en doute les bons chiffres de ses 500 000 tests/semaine qui font rêver), avec son électorat et les députés-yaka-envoyer-l’armée-dans-les-banlieues (quand il lâche : « certains disent que dans tel ou tel quartier dit « difficile », on ne respecterait pas les consignes de confinement, je peux attester l’inverse, et je peux dire aussi qu’un certain nombre de nos concitoyens ont pensé qu’aller dans leur résidence secondaire était souvent une bonne façon de passer le confinement ») ou avec ma mère (furieuse, quand elle l’entend dire que le déconfinement, ça dépendra de l’âge, elle m’appelle, décidée à se faire faire de faux papiers si nécessaire — c’est ma mère, 76 ans, confinée et héroïque, comme toutes les mères du monde en ce moment). La boucle est bouclée et le spectacle total quand, en guise d’au revoir, l’inspecteur d’Académie, ci-devant Président du Parlement, clôt la séance après trois heures et dix minutes en citant Aragon (époque Résistant, 1943, La Rose et Le Réseda, que Richard Ferrand voudrait nous offrir en #FranceUnie contre la barbarie) : Quand les blés sont sous la grêle Fou qui fait le délicat Fou qui songe à ses querelles Au coeur du commun combat

Je vous remercie la séance est levée, — et la démocratie bien docile.

SOIR. Correspondance avec l’historienne Mathilde Larrère, à propos de la sortie matinale de Sureau sur la Convention et la Commune : « Comparer les révolutions à des maladies, c’est d’une grande banalité. Quand on parle d’« ordre » et de « désordre », les métaphores médicales sont fréquentes. Ne parle-t-on pas de la « contagion révolutionnaire » (comme si c’était une maladie) au XIXe siècle ? L’attribut symbolique du maintien de l’ordre est un clystère, une grande seringue avec laquelle on faisait des lavements anals. Le médical est souvent mobilisé pour attaquer la Révolution. En 1789, le roi d’Espagne demanda que soit mis en place un « cordon sanitaire » (oui, oui) contre la révolution française (en pratique : contrôle des nouvelles, des écrits, des personnes). En 1848, pour salir la révolution de février, on parla de choléra-démocraticus (référence au choléra morbus qui avait fait 100 000 morts en France en 1832). La Commune a souvent été présentée comme une maladie, une folie collective, une sorte de délirium tremens généralisé. C’est triste mais c’est banal et c’est affligeant. »

Aux dernières nouvelles, le million de corps atteints du virus devrait survenir dans les nuits qui viennent.

Moral du jour : 7/10 Ravitaillement : 6/10 Sortie : 1 Speedtest Internet : 938 Mbps

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