Corona Chroniques, #Jour57

By David Dufresne, 11 May 2020 | 214795 Visits

MARDI 14 AVRIL 2020 - JOUR 30

MATIN. Sur France Inter, le ministre de l’Intérieur est agacé ; pas tant par le service après vente qu’il doit rendre au chef Macron, en venant nous expliquer l’inapplicable (11 mai, où, quand, comment, combien de divisions pour quelle vision ?) — manœuvre de basses œuvres, Christophe Castaner sait faire — ce qui l’indispose, c’est l’interpellation directe que lui fait Laurent, Laurent-on-vous-écoute, propose le matinalier-maison, et Laurent sans ambages de se faire entendre: quid des verbalisations abusives et des #ViolencesPolicières qui perdurent ? Le ministre commence par nier, comme de juste, puis sa voix change, comme toujours, lasse, et parfaitement mécanique, un brin plus essoufflée qu’à l’ordinaire peut-être, pour rappeler qu’il existe un service de police pour se plaindre de la police, et que ceux qui trouvent ça curieux ont vraiment mauvais esprit ; d’ailleurs, le service de police qui reçoit les plaintes contre la police, il n’a rien à faire (ce matin, Castaner ne prononce pas le nom du service en question, il dit « plateforme », parce que dire IGPN, c’est contre-intuitif, pour reprendre l’expression en vogue).

Depuis le confinement, révèle le ministre, n’ont été enregistrées que « 166 plaintes sur 704 000 verbalisations ». Castaner ajoute, fier et forcalquier, d’un ton soudain chantant: « c’est peu », feignant d’oublier que le peu, parfois, confine au terrible, quand le peu se fait violence symbolique pure, celle qui ne se filme pas, qui ne laisse pas de traces, ni coups ni blessures, mais des marques psychologiques à jamais. C’est Helwig (79 ans), Corona Chroniques d’hier, verbalisée au pied de l’Ehpad de son mari (93 ans). Ou c’est Patrice, sur l’Ile-de-Ré, bloqué par un gendarme, qui lui ordonne de faire demi-tour, malgré ses protestations, et son attestation ; Patrice qui finit par devoir tourner le dos à l’Ile, et à son père mourant, à qui il venait dire un ultime au revoir. Le peu, coup d’envoi du pire.

Sur Twitter, un vigilant partage sa découverte: un appel d’offres du ministère de l’Intérieur, passé juste avant Pâques — le Covid en subterfuge idéal de nos Après piétinés (même si, comme de juste, encore et toujours, Place Beauvau s’empresse de nier le lien entre sa grosse artillerie et notre grande pandémie). La police a décidé de sortir le chéquier et passe commande de 565 « micro-drones du quotidien », 66 « drones de capacité nationale » et 20 « nano-drones spécialisés ». Ceux-là sont les derniers enfants-soldats technologiques du monde militaire, des poids plumes, qui tiennent dans une paume, capables de voler 25 minutes, de transmettre leurs images (thermiques ou non) à deux kilomètres, invisibles, indétectables, cryptés à souhait: nos frelons de demain, redoutables panopticiens. Et dire que pendant ce temps, certains, crédules ou confiants, palabrent encore à longueur de skype-shows sur le sexe des anges, l’anonymisation des données et les bienfaits du volontariat des applications de « tracking (cracking?) social ». Au nom du bien.

APRÈS-MIDI. Voilà le bonheur. Dans l’enveloppe, le tissu rouge est impeccablement plié en huit. DDB a tenu parole, et fait les choses à merveille. A sa banderole, l’artiste a joint deux vis, deux fils électriques d’égale longueur (« pour accrocher au balcon »), des petits clous « à planter sur les manches à balais » (« non fournis », précise-t-elle d’une écriture ronde), et une notice salvatrice (à la suédoise, en majuscules): « PLAN DE MONTAGE DU NYKMAECRÖNH ».

Il y a dix jours, sur FaceBook, DDB s’était gentiment moquée de moi quand je l’avais félicitée pour son étoffe, un bout de sursaut délicat et précis, parfaitement ouvragé, lettres blanches pour coton rouge, coccinelle de balcon accrochée quelque part à Montpellier, chez une amie infirmière. DDB avait commencé par m’assurer que c’était simple à reproduire, son affaire, et à tenir une #ManifAuBalcon, un drap, deux tasseaux, un peu de peinture, et ouvrez #CortègeDeFenêtres. Devant mes questions maladroites, DDB avait fini par lâcher «Ah ces intellos, vivement qu’on vous envoie aux fraises !» avant de proposer de m’offrir une réplique de sa banderole, pour la cause, et la beauté des corona-solidarités qui s’improvisent.

Et cet après-midi, c’est l’instant tant attendu: le lever au drapeau rouge alerte, caisse à outils aux pieds, foutue malle à coupures du passé et à projets à tenir. En face, un voisin lève des pouces en l’air, il dit, « ça me plaît assez… », on parle de lui, et de comment-il-fait, sous les toits, avec ses deux enfants ; c’est plus le charme discret de Paris, c’est Marseille qui vacarme, on parle fort à travers la rue, comme un retour aux sources, à la rue: « malheureusement, on se fait à tout », dit-il. On tombe d’accord: l’essentiel est de ne pas oublier à quoi on se fait, pour mieux s’en défaire Après.

SOIR. A 20h, petites abeilles enruchées, #OnBourdonne. DDB serait fière. Son cadeau flotte au vent et tient bon:

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