Corona Chroniques, #Jour57

By David Dufresne, 11 May 2020 | 214795 Visits

VENDREDI 27 MARS 2020 - JOUR 12

MATIN. Réveil en sueurs, un rêve de nature et de drone que je manipule depuis le jardin d’une maison de campagne que je ne connaissais pas ; le drone s’envole, majestueux, silencieux, transmission des images parfaite, le voilà qui survole les bois, longe les champs, et fonce maintenant sur un pavillon de chasse, à Versailles, la Lanterne, où Macron se repose ; l’engin est désormais incontrôlable, trop loin, trop vite, il pique sur la résidence présidentielle, et s’écrase, ridicule, contre une fenêtre.

Une voix douce me tire du merdier. Sans cet amour, je virerais fou, j’en suis sûr.

APRÈS-MIDI. Le sourire de Julie, 16 ans, transperce mes déambulations numériques. L’adolescente est à peine décédée que, déjà, sur les chaines en information continue, une armada de spécialistes de la spécialité est sommée de nous en glisser deux mots --- et d’atténuer séance tenante la portée du drame.

Julie était élève dans un lycée professionnel de la région parisienne, tout a commencé par une légère toux, puis les glaires samedi, un généraliste dimanche, puis l’hôpital Necker, tests d’abord négatifs puis positifs, réa, respirateur, le corps de Julie qui ne supporte l’opération, sa mère s’effondre, et le sol se dérobe sous nous pieds: «On n’aura jamais de réponse, c’est invivable.» Dès qu’un chirurgien apparaît sur l’écran, c’est la même mécanique que les présentateurs déroulent. Dites, professeur, c’est grave, mais c’est exceptionnel, rassurez-nous, hein, le virus, il-tue-pas-les-jeunes-normalement ? Et le docteur Raoult, hein, il en penserait quoi ? Y a espoir, non ?

Le chaud, le froid, les images chocs et les corps encore tièdes, LCI et consorts jouent toutes la même partition depuis le début du confinement: la modulation des angoisses en couleurs, qu’elles voudraient choisir, et guider, comme mon drone du petit matin, pour mieux nous sécuriser. Nous sidérer et nous cajoler, papa-maman ridicules, avec leurs sourires forcés, voilà ce que ces broyeuses à images tentent de faire. On sait comment ça finira: dans le mur. Dans cette folie, où un ministre nous dit qu’on peut aller travailler mais pas se rendre aux obsèques familiales, le temps du deuil est décidément déchiqueté, partout. Et on se désole: le virus ne pourrait-il être la bascule où tout bascule, pour tous, comme pour elles, ces chaines en confusion continue, si puissantes et si fragiles en même temps: ne pourraient-elles pas enfin faire leur examen de conscience?

Pandémie peine perdue.

Dans un live au Monde, le président de l’Institut national du sommeil et de la vigilance (oui, ça existe) suggère d’«écrire, avec les enfants, les cauchemars ensemble et, éventuellement, les relire le soir avant de se coucher en proposant de modifier le scénario du cauchemar pour qu’il soit moins anxiogène.» On pourrait pousser un cran plus loin, et détourner l’apocalypse: écrire ensemble la réalité morbide qui s’abat sur nous pour modifier le scénario de l’après.

Prédictions d’Édouard Philippe: «la vague extrêmement élevée» du #Covid-19 va bientôt «déferler sur la France», «situation difficile pour les jours qui viennent». Signe des temps, le Premier ministre ne s’exprime pas depuis Matignon, où rien n’a été ni vu ni prévu, mais depuis une cour qu’on reconnait facilement, une cour de répression, quand il ne reste plus que le bâton pour diriger le pays, une cour toute en graviers et en longueur, avec, à l’entrée, de belles grilles noires aux pics dorés qui donnent sur la place Beauvau.

Pendant ce temps, les vidéos d’ultra #ViolencesPolicières s’additionnent. A Marseille, un récalcitrant aux attestations, plaqué contre un mur, reçoit des coups au visage et, comme ça ne suffit pas, lui qui se laisse frapper pourtant, a droit à une décharge de Taser sur les côtes. Aux Ulis, un livreur d’Amazon, 21 ans, est tabassé par un groupe de policiers, d’abord au vu et au su de tous, sur le parvis, puis à l’ombre d’un porche ; insupportables hurlements, les coups s’abattent, une première caméra suit le début de l’enfer, une autre capte les flammes de la suite. Je retweete.

Dans la soirée, grande première, un député gazouille à son tour: «Les opérations de contrôle dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19 ne doivent pas donner lieu à des abus. Je me suis entretenu avec les parties prenantes. Les plaintes doivent être déposées pour que toute la lumière soit faite.» C’est Cédric Villani, député de l’Essonne.

Cauchemar. Scénario. Angoisses. Réécriture du monde de demain (qui nous appartient, Suprême NTM, 1990, déjà, 30 ans déjà que ces prophètes du réel avaient tout annoncé).

SOIR. A 20h, #OnApplaudit, avant soirée pizzas surgeled in Italy. Palabres et rires de virus avec ma femme: doit-on ajouter ces belles burratas choisies mercredi chez le fromager du coin? Le commerçant était formel, vous m’en direz de nouvelles, avait-il lâché plein d’optimisme, sûr de lui, de sa camelote --- et des jours à venir. Et cet emballage, l’avions nous bien décontaminé, à coup de savon, et de tristesse ? Sur la boite, un slogan en douces lettres d’avant Malédiction: Contagiosa freschezza.

23h30, dernier tour du web avant nuit agitée. Confinée dans une aile de l’Elysée, Brigitte Macron vivrait mal ces heures sombres, «ça lui coûte», selon l’édition du jour de Elle: «Le service à la française, où chacun pioche dans les plats, a été remplacé par le service à l’assiette, plus hygiénique.»

  • Moral du jour : 6/10
  • Ravitaillement : 6/10
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