Corona Chroniques, #Jour57

By David Dufresne, 11 May 2020 | 214795 Visits

JEUDI 26 MARS 20202 - JOUR 11

MATIN. Ça commence par une modeste virgule. Une simple virgule, l’amie discrète des mauvais temps et des belles lettres, c’est le journal La Croix qui l’a placée, et de quelle manière. Son titre: «L’Etat, d’urgence».

Par courriel, je prends des nouvelles d’un manifestant amoché par la police d’État lors des samedis Gilets jaunes. «Pour ma part, confinement dans mes 20 metres carrés, avec la nourriture des Restos du coeur car plus de moyens financiers. Impossible de reprendre mon taf. Toujours sous calmant , anti dépresseur et somnifères.»

Et malgré ça, virgule de vie et vie entre parenthèses, la journée s’annonce radieuse. On dirait qu’avec le confinement, le ciel de Paris tient sa revanche. Tous ces fuyards, un million deux cent mille franciliens, dit-on, trahis par la circulation de leur portable, et les mouchards d’Orange, ne verront jamais ce que c’est Montparnasse qui renait en plein virus de mars. Depuis dix jours, le ciel est cruel, il nous nargue, il nous tente, il nous provoque, il respire comme jamais, pas un postillon, pas un crachat, pas une toux: il fait le beau, partout --- beau temps, beau fixe, beau soleil.

Est-ce les effets de la dégringolade de la pollution en ville ? 60 % des oxydes d’azote en moins, claironne Airparif. Dans Libération, le directeur d’un service européen de surveillance atmosphérique lâche : «le Covid-19 peut rester accroché pendant environ trois heures sur les particules fines en suspension, émises entre autres par les voitures, l’agriculture ou l’industrie.» Si le chercheur dit vrai, le Coronavirus serait alors le liquidateur le plus expéditif de notre propre folie. Le nouveau tueur à gages de la pollution atmosphérique, qui assassine, déjà, mais à feu doux, à jet continu, invisiblement, près de 48.000 personnes par an en France (source: Santé Publique France, 2016). Ce que l’on comprend du Covid-19, c’est qu’il serait à notre image d’hommes et de femmes modernes: il voyage, vite, il cible, vite, il aime le spectacle, rapide, social comme Facebook, et il passe à autre chose, vite et pressé, rue après rue, victime après victime, virgule après virgule.

APRES MIDI. La porte-parole du gouvernement s’emmêle les pinceaux une nouvelle fois. La faute au va-t-en-guerre Didier Guillaume, qui veut soulever une «armée des ombres» d’agriculteurs spontanés (cf. le carnet de mardi). Elle déclare qu’il n’est pas question d’envoyer au champ et à l’autre bout de la France des enseignants, qui-ne-travaillent-pas en ce moment, avant de se reprendre, évidemment qu’ils télé-travaillent, les profs et que, même, chaque matin, chaque parent mesure l’envergure de leur mission avec les devoirs à faire faire. De l’aplomb de Sibeth Ndiaye ou de sa bêtise, ou des deux, on ne sait ce qui est son arme la plus redoutable. Depuis mon balcon de poche et de fortune (Paris soleil, à nous deux!), je laisse Twitter s’étriper: faut la virer, la garder ; certains parlent de fusible commode, d’autres d’incompétente notoire. Elle est pourtant parfaite dans son rôle. Reine de la diversion, elle occupe les esprits. Son maintien, ou non, au gouvernement est affaire de temps, donc de stratégie. Faire durer la bouc-émissairisation, c’est gagner du temps de cerveau disponible.

SOIR. A la télé, Christophe Castaner annonce des chiffres terribles. Depuis le confinement, en zone gendarmerie, c’est +32% de violences conjugales. A Paris, +36%. L’émission spéciale, qui végétait jusque là, dans son habituel bavardage entre experts confits et confinés sur place (toujours les mêmes, au discours grosso modo rassurant, pour nous et surtout pour le gouvernement), prend soudain une tournure d’un autre temps.

Le ministre de l’Intérieur dévoile qu’il voudrait, comme en Espagne, que les pharmacies deviennent des lieux d’alerte, des refuges pour femmes battues, que ces dernières pourraient y venir, dans ces officines de la résistance, avec un mot de code pour déclencher l’alerte immédiate. Castaner donne l’exemple espagnol: «Je voudrais des masques 19», et le pharmacien comprend. Mais le ministre se reprend, lui plus calme qu’à l’ordinaire, tellement fatigué, jamais vu autant usé depuis que je l’observe, il dit que ça doit être une autre expression codée, laquelle, on l’ignore, et son lapsus dit aussi l’étendue du marasme: il n’y a pas plus de masques 19, qui n’existent pas, que de certifiés FPP2, qui n’existent plus, dans les pharmacies de France.

A 20h, #OnApplaudit. Cette fois, je sors une casserole. Plus de bruit, comme hurlait La Mano Negra, au bout d’une heure de concert, avant de repartir pour autant de temps et de dinguerie. Dans l’immeuble d’en face, le plus petit des voisins exulte. Mon boomtchak boomtchak doit le rassurer: les adultes, aussi, sauraient donc faire les fou-fous.

  • Moral du jour : 7/10
  • Ravitaillement : 7/10
  • Sortie : 0
  • Speedtest Internet : 937 Mbps
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