SAMEDI 21 MARS 2020 - JOUR 6
MATIN. Sur Twitter, au réveil, ce rappel :
«Une chose peu dite. Les Gilets Jaunes et les manifestants qui ont subi la répression violente depuis quelques années ont investi, eux, dans des masques FFP3 à l’épreuve de la lacrymo, pendant que l’Etat investissait dans des grenades et des LBD.» --- @Gjpvernant
J’avoue. J’ai ri. Jaune.
Les chiffres sont sans appel. 22 millions d’euros dispersés en lacrymos depuis 2017, 3 de plus tirés en cartouches et armes rien qu’en 2019. Pour les masques médicaux, on ne sait pas bien.
APRES MIDI. Courriel reçu d’une lectrice de ce carnet. Laura, une inconnue, infirmière: «Je commençais à ressentir un nœud au ventre. Peur, moi ? Jamais ! Enfin là, ça commençait un peu. Depuis que je vois combien le personnel de terrain n’est pas entendu. La nuit, j’accompagne les personnes malades ou en fin de vie chez elles. Et il ne m’est pas venu à l’idée d’arrêter. Pas encore, enfin, si un peu... (...) Je file me préparer pour partir travailler. Mais où est mon masque ? Ben, c’est à dire qu’ils ne sont pas arrivés. Ah oui, c’est vrai, j’en n’ai pas encore ! Bon, j’y vais quand même...»
SOIR. Sur France Inter, le secrétaire général de LVMH joue les bons samaritains. Et tient, surtout, à ce que ça se sache. Bernard Arnault, son patron, un des hommes les plus riches du monde, s’est fait lui même le fond de ses propres poches pour fournir la France en masques. Chez les milliardaires, c’est une coquetterie: on préfère choisir à qui on donne, que payer un impôt juste.
Au final, on notera qu’avec ses récentes pertes en bourse, l’aumône du patron est beaucoup moins élevée que pour Notre-Dame, mais dans la fournaise dans laquelle nous sommes, ne soyons pas mesquins (mais calculons quand même, grâce à https://chiffre-en-lettre.fr, les bons comptes faisant les bons amis: 6 millions, sur une fortune estimée à 97 milliards, représentent une demi baguette : 0.0061855670103% ).
A l’antenne, son second déroule ses boniments, c’est la section parfums et cosmétiques qui a trouvé «un fournisseur fiable», en Chine, avant de se lancer dans «une course contre la montre»: trouver des masques, les faire homologuer, s’assurer que le fourbe «ne les confie pas à un autre client» (capitalisme), «évidemment, c’est un partenariat très fort avec l’Élysée, mais c’était compliqué». On comprend que Bercy a négocié: les droits de douanes, on écrase, les masques vont arriver sous «franchise pour aller plus vite». Et pour finir, avec une voix de croupier: «Bernard Arnault a mis 6 millions d’euros sur la table, là, tout de suite.»
En une fraction de secondes, tout y est. L’arrogance, la mainmise du privé sur le public, la mondialisation joyeuse (le communiqué du groupe est carrément triomphal: toute cette générosité, c’est «grâce à l’efficacité de son réseau mondial») et, au passage, petite leçon d’optimisation fiscale (on comprend bien, ici, c’est pour la cause, et pour toutes les Laura du monde, femmes et hommes magnifiques, dignes et décidés, mais n’empêche l’étourdi retient ce que le factotum du milliardaire veut bien faire passer: oui aux gestes barrières, haro sur les barrières douanières, sinon c’est compliqué).
A l’heure de la gestion catastrophique du catastrophisme (Raoul Vaneigem), le message se voudrait clair (on s’occupe de vous) et il est terrible (on ne s’est occupé de rien mais, alors, de rien). Sur Twitter, on hashtague #IlsSavaient ; #IlsNontRienCompris sonnerait bien, aussi.
A 20h, #OnApplaudit.
- Moral du jour : 8/10
- Ravitaillement : 8/10
- Sortie : 0
- Speedtest Internet : 937 Mbps