VENDREDI 20 MARS 2020 - JOUR 5
MATIN. Je ne l’avais jamais vu comme ça, le jeune boulanger. Je me faisais une joie de le retrouver, on allait se raconter une connerie, une petite blague, le truc qu’on fait à chaque fois, ça finirait, comme à chaque fois, dans un bonne journée pleine de rires.
Ce matin, première sortie depuis le jour 1 du confinement. La rue en jeu de go, chacun se place et se déplace en fonction des autres ; il y a quelque chose de militaire, de mécanique, dans cette stratégie du bitume --- et les sourires mêmes. Jamais vu les Parisiens autant sourire, un sourire triste, un sourire inquiet, démasqué, un sourire de ville, mais un sourire. Les vitrines disent le couvre-Paris: le cordonnier est fermé jusqu’à nouvel ordre, le Vietnamien en vacances, le primeur en travaux, les poubelles vides, et la rue, propre comme un 15 août. Au loin, des policiers contrôlent poussettes et passants. Brassard en évidence, ils quadrillent la polis comme jamais.
Devant l’étal de gâteaux, au sol, le boulanger a collé des rubans de scotch, un par mètre, distance réglementaire, douze barres marrons sur la longueur, couloir étroit, couleur d’effroi, mais personne ne marche sur ces maudites barres. Dix clients par heure, et encore. Voilà ce qui le torpille, le boulanger, personne à qui raconter ses vannes, personne à qui donner son petit mot, glisser une gentillesse.
APRES MIDI. Sur FaceBook, les hôpitaux font la manche. C’était donc ça, la start-up nation : crowdfunding pour nécessiteux, défiscalisation pour les autres ? Du Grand Est parviennent les rumeurs d’une médecine de guerre, faute de place, faute de prévisions ministérielles, faute de Politique profonde, faute de mieux, et la faute au pire: on fera des tris, on fera des choix. Et ils seront mortels.
Le confinement est un moment, le confinement est le moment. L’essentiel jaillit, les marches forcées économiques, les gestionnaires plutôt que les visionnaires, la rue en mode survie, la police en maîtresse, les mensonges et autres arrangements d’État. Et dire que la presse se délecte encore à nous narrer le Pouvoir, ses affres et ses hésitations, ses gué-guerres de com’ et ses petites déclarations --- ah, les sorties des Macron, effarés devant tant de monde dans les parcs quand eux-mêmes nous sommaient de voter et de sortir quelques jours auparavant --- cette même presse dont on voudrait tant qu’elle nous cause Politique, et non (im)puissance et jeux de pouvoir imbéciles.
SOIR. Sur son blog, Olivier Ertzscheid, maître de Conférences en sciences de l’information et de la communication, publie un long billet passionnant («L’humanité malade du Corona: ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés») qui décortique comment cette pandémie est avant tout une pandémie de classe. Au détour de son texte, Ertzscheid cite les préconisations de The Lancet pour atténuer les impacts psychologiques de la quarantaine.
La première dit tout: Information is key; people who are quarantined need to understand the situation.
Je la relis. Information is key; people who are quarantined need to understand the situation.
Et encore. Information is key; people who are quarantined need to understand the situation.
Au 20h de France 2, Laurent Nunez, numéro 2 de la Place Beauvau, homme informé s’il en est (son travail consistant, entre autres, à informer le numéro 1 du ministère de l’Intérieur) est en duplex, figé dans son fauteuil, reflets bleus sur ses lunettes, comme des détecteurs de mensonge. Il ne cille pas : «Les masques sont livrés très régulièrement. Non, je ne reconnais pas qu’il en manque», lâche-t-il. Les masques manquants, c’est comme les violences policières: ça n’existe pas dans un État de Droit.
Information is key; people who are quarantined need to understand the situation.
- Moral du jour : 8/10
- Ravitaillement : 8/10
- Sortie : 1
- Speedtest Internet : 937 Mbps