Corona Chroniques, #Jour57

By David Dufresne, 11 May 2020 | 214795 Visits

MARDI 5 MAI 2020 - JOUR 51»

MATIN. Dans la cour d’école de Poissy, Emmanuel Macron s’avance comme un inspecteur d’académie, sûr de lui, et de son emprise, il défait les carrières et voudrait faire nos arrières ; dans la cour, on le salue, il répond, mais dans la première salle, c’est qui ? demande un pays, une voix fluette, et le voilà qui, d’un geste enfantin, tombe le masque et avance à découvert ; toute l’approximation d’État en une image, ce masque tombé, c’est une allégorie les enfants, et une plaisanterie, un moment de déconnexion, qui pourrait être joli, s’il n’était la fin de tout ; ce masque jusqu’à la garde (« masque noir, assorti au costume du président » nous dit un styliste, Jean-Michel Apathie de la maison LCI), ce masque grand public qui couvre la gorge et le menton, bientôt sur toutes nos bouches, c’est toute l’incompétence de ce commis d’État ; réduit à défiler devant des CP et des CE2, lui, raide dans leur rangée ; eux, assis sagement à leur pupitre, comme nous, relégués au rang d’écoliers à qui on fait constamment la leçon, à attendre que l’envoyé du rectorat nous programme nos vies une nouvelle fois rectifiées.

Et puis : c’est comique, ce n’est plus Macron général pathétique devant l’hôpital de campagne de Mulhouse (cf. Corona Chroniques jour 10, hôpital démonté, dit-on, depuis sans tambour militaire ni trompettes la mort) ; ce n’est plus non plus Macron chef de rayon du Super U de la ferme France (cf. Corona Chroniques jour 39), c’est le fantôme, c’est Jacques Martin, c’est l’École des fans, alors, ils font quoi tes parents ? Maman, elle est dans le combat du Coronavirus ! Et elle est en train de gagner? Oui. Et le soir, elle te raconte ? Oui. Et papa ? Il travaille à l’hôpital. Et à nouveau, tout ce qu’il ne faut pas faire, tout ce pour quoi on nous avait dit il y a deux mois qu’on ne saurait pas faire, que les masques, ça servait à rien, qu’il fallait savoir les porter, Macron s’entête : son masque touché, retouché, mal positionné, nez mal caché — ce masque dix fois réajusté comme une stratégie hasardeuse de gouvernement.

Parfois, la retransmission coupe, comme au jadis Théâtre de l’Empire, et un second présentateur de mode vient meubler (Thomas Misrachi, doigt sur la couture chez BFM): « c’est une opération de com’ MAIS c’est une opération très importante », l’image revient, nous voilà sauvés, bientôt 13h, Et les gestes barrières, tu les connais, toi? Oui. Et tu te laves les mains tous les combien ? S’en suit une liste sans fin. Le ministre de l’Éducation est là aussi, même masque, mêmes erreurs, on comprend qu’il prépare les fiches du président, il passe de classe en classe, en éclaireur, ramassant les biographies de tel ou tel élève avant de les glisser à l’oreille du patron. Au loin, sans que l’on sache si cela est fait exprès, un tableau raconte « à l’école d’autrefois », et tout finit par une interview, très autrefois, où deux journalistes évitent soigneusement chacune des questions qui pourraient fâcher.

Il est temps d’aller s’aérer. Trois jours sans sortie, c’est l’extrême limite.

APRÈS-MIDI. Balade munie d’une application bricolée par un fou, un ami, Laurent Gontier. Une sorte de Google Map du confiné, qui matérialise le périmètre autorisé en temps (1h, soit 30 minutes de rayon), en distance (1 km) et en routes sinueuses. Exploration oulipienne du quartier, nouveau monde fermé ; ici, avancée permise ; là, enjambée impossible, une promenade à la Perec, pure dérive urbaine à la Situ, où l’absurde dessine des frontières rétrécies. La fontaine au loin ? Accessible sur son versant Est seulement ; le cimetière ? Par derrière (quand il sera rouvert). Laurent a baptisé son engin Erouv: «Dans la tradition juive, l’Erouv est la zone urbaine autorisée à Shabbat où peut s’accomplir ce qui est interdit ailleurs. Elle est la même pour la communauté alors qu’en ce temps de confinement, on a chacun la nôtre et ce n’est pas celle du voisin.» Brouillage total, et brouillard espace-temps, qui sait quand on prendra la mesure exacte de ce qui nous est advenu ? Tous nos voyages intérieurs forcés, tous ces pas extérieurs mis au pas, par décision administrative, comme une décision du Ciel, d’un Dieu qu’on ne reconnait pas: combien de dégâts ?

En chemin, croisé Victor (Corona Chroniques, jour 23), qui traine ses 40 kilos de misère, et une barbichette de confiné à la rue. De passant en passant, Victor glisse comme nous de routine en routine, en attendant la libération (pour nous: se mouvoir ; pour lui: retrouver un lieu où s’abriter ; retour à la normale, vraiment ?). A la pharmacie, c’est pas encore ça, une pancarte se désole: « nous aurons des masques en tissu (CAT 1 lavables 20 x): 13 ou 14 mai.»

SOIR. A 20h, #OnOublieraPas. Le petit voisin n’est toujours pas revenu. Qu’il me manque.

Par Libération, petite montée de mélancolie. Dave Greenfield est mort, à soixante-et-onze Covid. En 1982, c’est Greenfield qui tenait le clavecin des Stranglers, c’était la fin du Punk, et la vie qui commençait:

Never, never a, never a frown with golden, with golden brown Never, never a frown with golden, with golden brown Never, never a frown with golden, with golden brown Never, never a frown with golden, with golden brown

Puis, courriel de G., 10 ans: « Salut papa ! J’ai le projet de streamer sur un serveur Minecraft nommé paladium, voici le fichier pour l’installer, va sur ma session chez toi, et déplace le sur le bureau juste. Merci ! G. » Et le moral remonte.

  • Moral du jour : 7/10
  • Ravitaillement : 5/10
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