SAMEDI 18 AVRIL 2020 - JOUR 34
MATIN. Nouvelle taille de barbe, nouvelle moustache, façon Lemmy de Motorhead. Plus ratée qu’audacieuse, il faut l’admettre. Ces petites fantaisies nous sauvent du confinement.
Aux Etats-Unis, Trump s’invente d’autres amusements : il rejoue la guerre de Sécession via notifications. Sur Twitter, il bouge ses petits soldats d’années de plomb, et exulte les forces armées les plus incontrôlables — les civils, adeptes des gun shows — à déconfiner le confinement, à coups de manifestations musclées devant les parlements (démocrates) les plus stricts. Social distancing is communism dit une pancarte. Liberate Michigan ! ordonne Trump, et aussi Liberate Minnesota ! Liberate Virginia and save your great 2nd Amendment. It is under siege !
On raconte que dans le Maryland, Alex Jones, chéfaillon des conspirationnistes, a déboulé tel un César moderne, à bord d’un pick-up aux allures de char d’assaut. Vingt-deux millions de chômeurs à la rue, d’un coup de vent, des rumeurs de ratonnades, la Chine numéro 2 mondial en embuscade : c’est l’Amérique under siege !, qui panique et qui ne se reconnait plus. L’Amérique à l’heure de vérité, quand sa douce folie ne fait plus rire, que les gonzo tournent salauds — Welcome to the Terrordome (Public Enemy, 1991).
APRÈS-MIDI. Terrible photo dans Le Monde, prise à quelques kilomètres de Paris l’opulente, dans une petite ville arpentée dans une autre vie, bien avant Avant. Je crois reconnaitre certaines tours, le talus, les arbres, et tout près de là, la ville mitoyenne, Montfermeil, c’est le décor des Misérables, d’Hugo et de Ladj Ly, le cliché du Monde a été pris à Clichy-sous-Bois, épicentre de la révolte populaire des quartiers en 2005 (« révolte populaire des quartiers » : c’est ainsi que la direction centrale des Renseignements généraux avait qualifié les trois semaines de soulèvement des banlieues françaises, le rapport avait tant amusé le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas le Pyromane, que le directeur central des RG s’était rapidement fait limoger, le service bientôt couper la tête, avant que les événements soient dépolitisés et requalifiés un peu partout en émeutes sans cause).
La photo montre une file d’attente sans fin, des morts-de-faim, venus chercher un sac de vivres, quelques boissons, le minimum pour s’en sortir. Le Monde raconte les destins fauchés en un #Confinement, l’argent qui ne rentre plus, l’intérim même plus intérimaire. A la première distribution d’aide alimentaire depuis le Corona, « 190 personnes se sont présentées, 490 la deuxième, puis 750. » Du reportage, des noms remontent, non pas fantômes, mais tenaces, des braves et des déterminés, comme à l’époque de Zyed et Bouna. L’association AC Le Feu, toujours vaillante.
(Souvenirs émus de Claude Dilain, maire de la ville, pédiatre et socialiste, si seul et si désolé deux ans après les événements, abandonné par la plupart des pontes de la rue Solférino et des bonnes âmes, parties en campagne ailleurs)
Dans le genre au front, le chanteur Kaddour Hadadi, l’auteur de la ritournelle « On Lâche Rien », tube des manifestations, sort une nouvelle chanson intitulée « Pour Les Autres », partie pour devenir hymne des balcons. Une chanson douce, une chanson triste, une chanson qui commence par Elles se battent pour les autres / Ils se battent pour les autres / Elles se dévouent pour les autres / Ils se dévouent pour les autres / Pour leur honneur et pour le nôtre et qui, soudain, au moment du pont, bascule dans le dur, et dans le vrai, avec un extrait d’Emmanuel Macron pris à partie au CHU de Rouen en 2018 par une infirmière (« On a besoin de lits, on a besoin de moyens, on a besoin de personnel »).
SOIR. A 20h, #OnGifle.
Et à minuit, nouvelles alertes de terreur. A Villeneuve-la-Garenne, un motard percute une voiture banalisée, sur le grand boulevard central, pas loin de la mairie. Des témoins racontent : lui roulait sans casque, un policier aurait délibérément ouvert sa portière, choc, jambe explosée ; sur une vidéo, on entend des cris de douleur, un uniforme fait un garrot à la victime, le ton monte, des rumeurs circulent. La fachosphère se croit au Maryland, et se met en ordre de bataille, ordurière, sûre d’elle et des sondages de repli qui, partout, se multiplient. Au cœur de la nuit, un jeune homme enfourche un Vélib’ et court chercher l’information, street-reporter d’une guerre qui ne dit pas son nom. C’est Taha Bouhafs, l’intrépide.
- Moral du jour : 5/10
- Ravitaillement : 4/10
- Sortie : 1
- Speedtest Internet : 937 Mbps