Il dit avoir pris sa décision « comme un coup de tête, un coup de dés » : « Ça sonnait comme un défi, comme une bataille contre soi-même et avec les institutions », note-t-il sur son blog (Davduf.net). Le 10 mai, David Dufresne adhérait au Parti pirate (PP) français, « trente et un ans jour pour jour après qu’un vieil ouvrier m’avait pris dans ses bras à la Bastille. Il pleurait, j’avais 13 ans ».
Se proposant de faire claquer la bannière du Parti pirate lors des législatives, le 10 juin, David Dufresne commençait par se présenter, dans le courriel qu’il adressait alors au PP : « Français d’origine, je suis installé à Montréal depuis plus d’un an. J’ai un long parcours d’internaute, démarré en 1993, avec l’un des tout premiers webzines en ligne (La Rafale). Je suis notamment à l’origine du Manifeste du Web indépendant, avec mes amis du Mini Rézo, créateurs entre autres du logiciel libre Spip. Je suis documentariste et l’aventure Parti pirate me tente (...). Je viens de publier un livre sur l’affaire dite »de Tarnac« (Tarnac, magasin général, chez Calmann-Lévy). Autrement dit, comme le PP, Internet et justice sont deux de mes préoccupations majeures. » Jeune pousse du PiratPartiet suédois, né en 2006, le PP français lance son premier vrai test électoral en présentant des candidats aux législatives : pour que révolution numérique et nouveaux usages riment avec transparence, démocratie directe, libre circulation des savoirs et protection des libertés individuelles. « De la politique, certes. Mais piratée, hackée, hachée menu », estime David Dufresne, suppléant de Pierre Mounier, professeur de lettres classiques militant pour des humanités numériques et candidat du PP dans le 20e arrondissement de Paris.
LE JOURNALISME TRADITIONNEL, C’EN EST FINI POUR LUI
A lire le dernier et superbe opus de David Dufresne, Tarnac, magasin général (« Le Monde des livres » du 2 mars), on comprenait que le journalisme traditionnel, tel qu’il l’avait longtemps pratiqué (à Libération, I-Télé puis Mediapart), c’en était fini pour lui. « Ce métier que j’avais tant aimé, ce journalisme à la Tintin, tel qu’il était devenu, je n’y croyais plus » ; non à « l’urgence, la précipitation, le rendement, le suivisme », y écrivait-il au terme de trois ans d’enquête sur la construction politique et médiatique de « l’affaire » de Tarnac (le sabotage de lignes SNCF, puis la mise en examen d’un groupe de jeunes d’extrême gauche pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte terroriste »).

Après ce livre, à la forme très fortement inspirée par son webdocumentaire Prison Valley, coréalisé en 2010 avec Philippe Brault, « m’ensauvager était la seule solution raisonnable », notait-il. Aujourd’hui installé au Québec, il s’est immergé dans « une nouvelle web-narration » de longue haleine coproduite par Toxa, Arte et l’Office national du film au Canada - après avoir été le maître d’œuvre, avec Sébastien Brothier, d’un énorme dossier Web autour de la série documentaire « Manipulations, une histoire française » pour France 5.
« C’est un chat à neuf vies !, commente son vieux pote Silvain Gire, aujourd’hui à la tête d’Arteradio.com. Quelqu’un qui brûle ses vaisseaux derrière lui pour ne jamais revenir en arrière. C’est un geek, un archiviste, un encyclopédiste, limite obsessionnel (sur le punk rock, les situationnistes, le rap, le Net, etc.), mais capable, aussi, de tout lâcher. »
ROCK’N’ROLL !
Punk, s’amuse Silvain Gire, « il était plutôt »tendance straight edge« » (pas de tabac, pas d’alcool, pas de drogue) ; rocker, « bien qu’ayant longtemps évolué dans ce milieu, il a tout sauf un style de vie rock’n’roll » ; bref, « drôle et chaleureux, mais l’opposé de la coolitude ! » Poussant jusqu’à l’analyse psychologique, Silvain Gire conclut : « Un vrai torturé, très exigeant, ce qui est une qualité et un défaut à la fois. Déjà, lorsqu’il muait, à 14 ans, en direct au micro d’une radio libre, il critiquait les critiques de Rock &Folk; et très sérieusement ! Il a une grosse angoisse qui lui court après, le démon du laisser-aller qu’il fuit à toutes jambes. Il lui faut toujours être en mouvement ! » De fait, David Dufresne vient d’investir une nouvelle « zone d’autonomie temporaire » (concept du philosophe Hakim Bey) : le webdocumentaire. « On vit, explique-t-il, une période d’un, deux, trois ou dix ans où on peut réinventer chaque jour, puisque ce territoire est encore en friches. » Et si sa petite Harley lui manque à Montréal, il y trouve une culture « tournée vers le futur » qui lui correspond, assure-t-il. « C’est l’aventure la plus totale ici, pour moi, ma femme et mes trois enfants, mais je suis un déraciné de toujours. Quand j’étais petit, j’ai passé ma vie à déménager. Bizarrement, c’est vraiment le Net, ma maison. »
Martine Delahaye