Quelles furent tes motivations pour te consacrer au FN ?
Au cours de mes études d’Histoire, j’ai beaucoup travaillé sur le nationalisme allemand. Quand je suis devenu journaliste en 2011, nous étions en pleine ascension de Marine Le Pen au sein du mouvement. Le sujet était intéressant et j’ai naturellement basculé dessus. Ça m’intéressait de raconter le crépuscule de l’extrême droite historique.
Comment as-tu travaillé pour ton livre « La Fachosphère » ? Qu’est-ce qui t’interessait au premier plan ?
L’extrême droite est parvenue à exploiter Internet mieux que n’importe quel autre camp politique mais aucune étude universitaire n’avait encore décortiqué les ressorts de cette victoire idéologique. Avec Dominique Albertini, nous avons convenu qu’il y avait un sujet à défricher. Dans notre livre, on a donc tenté de poser les bases d’une étude historique d’un phénomène qui n’a pas fini de faire parler de lui.
...Et sur la jeunesse de Marine Le Pen, avec « La politique malgré elle » (La Tengo) ?
C’est un sujet que m’a proposé Alexandre Chabert des éditions La Tengo. Il avait lancé une collection de livres d’enquêtes sur la jeunesse des potentiels candidats à la présidentielle (Alain Juppé, François Hollande, François Fillon…). Avec Mathieu Dejean, journaliste aux Inrockuptibles, nous nous sommes laissés convaincre de raconter la prime jeunesse de la candidate du Front national. L’idée était d’ausculter son enfance pour voir si sa vocation politique procédait d’un legs familial ou de profondes convictions.
Ce livre, sur la jeunesse de Le Pen, n’est-ce pas un pied dans la peopolisation voulue par l’intéressée ?
Je ne sais pas si Marine Le Pen cherche la peopolisation. Elle protège beaucoup ses enfants. Elle sait mieux que nulle autre comment la politique peut détruire une vie familiale. Ce livre est surtout un pied de nez au storytelling qu’elle aime ânonner. À l’écouter, elle entretiendrait un rapport naturel au pouvoir. Chez elle, la politique serait une vocation, presque une tradition familiale. Cette légende résiste mal à une enquête sur sa jeunesse. Dans notre livre, on raconte que la présidente du FN a longtemps cherché à s’émanciper de la politique. Mais malgré ses efforts pour prendre un chemin alternatif, le poids de son patronyme l’a conduite à suivre les traces de son père.
« Rien de ce que je peux vous dire ne changera l’angle militant que sera le vôtre. C’est donc encore non » (Marine Le Pen, par SMS)
Quels ont été les échos de tes livres au sein du FN et de ses affidés ?
L’extrême droite a tendance à catégoriser chaque journaliste comme un adversaire naturel. Les ouvrages que j’ai pu écrire ont donc toujours été accueillis avec méfiance. L’essentiel à mes yeux, c’est que mes interlocuteurs n’ont jamais remis en cause ma méthodologie et n’ont jamais regretté de m’avoir parlé. On ne m’a jamais accusé d’avoir tronqué ou déformé des propos.
Au coeur du FN, tu as tes sources. Quel intérêt pour elles de te parler ?
Mes interlocuteurs savent que je ne possède pas d’aprioris sur eux et que je n’ai pas un traitement moral du sujet.
Quelles sont les difficultés propres au FN qu’un enquêteur comme toi rencontre ?
J’ai moins de difficultés à accéder à la vieille garde ou aux personnalités en marge du Front qu’à la direction elle-même. Marine Le Pen ou Florian Philippot considèrent qu’ils n’ont aucun intérêt à parler à la presse écrite et ont totalement verrouillé leur communication. Ils trient les journalistes en fonction de leur bon vouloir. Pour la biographie que je lui ai consacré, Marine Le Pen a délibérément refusé de me parler. Après une énième relance, elle m’a répondu d’un SMS lapidaire : « Rien de ce que je peux vous dire ne changera l’angle militant que sera le vôtre. C’est donc encore non ». Ça peut paraître gênant au premier abord d’écrire une bio sans le témoignage du principal intéressé mais ça oblige à multiplier les sources et les entretiens. Ce qui rend l’ouvrage d’autant plus riche.
La fachosphère, et la stratégie des réseaux sociaux prêtée au FN, que tu connais si bien, sont-ils si importants pour sa conquête du pouvoir ?
Malgré tout la bonne volonté de la fachosphère, ses idées ne sont pas majoritaires. Sa force est d’avoir accompagné la déculpabilisation des idées d’extrême droite. Durant longtemps, le vote FN pouvait vous marquer socialement et professionnellement. Aujourd’hui, cette barrière est tombée avec Internet. Le web a brisé la « spirale du silence » décrite par la sociologue allemande Elisabeth Noelle-Neumann. Ce phénomène voit les individus taire leurs pensées lorsque celles-ci contredisent l’opinion publique, par peur de se retrouver isolés socialement. À l’inverse, la Toile d’extrême droite semble provoquer l’émulation de ses aficionados et libérer leur parole.
Dans ton livre La Fachosphère, on apprend que Pierre Sautarel, derrière le porte-étendard Fdesouche, a travaillé un temps pour le site web du FN. Quels sont les liens officiels et officieux entre le FN et la fachophère ?
Après avoir milité au FN, Pierre Sautarel a travaillé au sein de son siège entre 2006 et 2011 comme prestataire de services au sein de la cellule Web du parti. C’est lui qui a convaincu le parti de s’essayer à la vidéo et qui a tourné les premiers “journaux de bord” de Jean-Marie Le Pen. Aujourd’hui Marine Le Pen l’apprécie mais peut parfois s’agacer des critiques émises contre son mouvement. La perception de Fdesouche au sein du FN varie en fonction des sensibilités. Les partisans d’une ligne identitaire, comme Marion Maréchal-Le Pen ou Nicolas Bay, l’apprécient ; tandis que Florian Philippot ou Louis Aliot vouent le site aux gémonies. Pierre Sautarel voit le FN comme un outil, valable seulement dans la mesure où il sert ses propres idées.
Rien n’est simple quand on travaille sur le Front national. L’accès aux sources relève souvent du sport de combat et au sein même de sa rédaction, tout article peut faire l’objet d’un débat.
Selon toi, où se situe la faillite médiatique vis à vis du FN ?
Je pense que le traitement sans nuance du FN, ne fait que renforcer le discours anti-système que tient Marine Le Pen. Ils désignent les médias comme un adversaire commun pour un électorat épars et divisé, et contribuent à la cohésion de celui-ci. Cela conforte la défiance grandissante des Français vis-à-vis des médias traditionnels et les incite à se tourner vers des médias alternatifs, souvent moins fiables.
La dernière fois que nous nous sommes croisés, tu semblais vouloir lâcher la rampe… Comment le FN use ses critiques ?
Rien n’est simple quand on travaille sur le Front national. L’accès aux sources relève souvent du sport de combat et au sein même de sa rédaction, tout article peut faire l’objet d’un débat. Devoir se justifier que l’on est pas un antifa déguisé d’un côté et un militant frontiste infiltré de l’autre, finit par donner envie de lâcher la rampe. Il y a que des coups à prendre lorsque l’on bosse sur le FN.
Dernier point, je me rends compte que la plupart des journalistes de presse écrite spécialisés FN ont moins de 35 ans. Qu’est-ce qui explique cette tendance ? Où sont passés les journalistes « historiques » ?
Je pense pas que l’on puisse être “rubricard Front national” durant une décennie. C’est un sujet qui use ceux qui le traitent. Mais je trouve que la nouvelle génération est très talentueuse et j’espère qu’on aura l’occasion de la lire encore longtemps. Les journalistes historiques n’ont pas disparu. Ils ont bien souvent acquis des responsabilités au sein de leurs journaux respectifs. Renaud Dély est directeur de Marianne, Abel Mestre a fait un passage par la rubrique “sport” du Monde avant de revenir en politique. Les deux reviennent d’ailleurs de temps en temps signer des papier sur le Front national et nous font bénéficier de leur longue expérience du sujet. A croire que l’on ne quitte jamais totalement le traitement du FN...