Le voyage s’est alors transformé en périple, et le périple en une succession de rencontres, des barons du pétrole aux petites mains de l’industrie, des danseuses nues au trappeur romantique, des sans-abri aux lobbyistes, de syndicalistes formidables à des cadres de l’industrie exténués, des familles heureuses à des consommateurs de crack de 20 ans à peine, de la mairesse sous pression aux pêcheurs en colère devant les poissons déformés par le cyanure et le vent mauvais craché par les usines. En tout, 60 jours de tournage, quasiment autant d’interviews, des tonnes de merveilleux sandwichs chez Mitchell’s Cafe, des milliers de kilomètres dans tous les sens, beaucoup de « non, non, on ne veut pas vous parler » et, enfin, des bras qui s’ouvrent et des langues qui se délient. Et du café à n’en plus finir.
Le parti-pris était simple : aller des deux côtés ̶ industriels, environnementalistes ̶ comme sur une ligne de front, où il importait d’écouter les logiques des uns et les convictions des autres. Et d’y aller dans le froid ; montrant Fort McMurray comme il n’est jamais montré, neige blanche, noir bitume, soleil d’hiver. À cette dimension lunaire, désaturée, il fallait en superposer une autre : le jeu. Le jeu comme vecteur d’intérêt, comme levier pour débattre, comme outil de confrontation, et de délinéarisation totale. Avec cette envie folle : offrir aux internautes une exploration de la ville à l’image de son exploitation, extrême et sans limites.
En somme, concevoir un jeu car le capitalisme lui-même est un jeu. Un jeu cruel, terrible, fascinant ─ terriblement humain. On pourrait même dire de la ville de Fort McMurray qu’elle est plus virtuelle que réelle, tant elle est démesurée. Fort McMurray est entre un Sim City grandeur nature et le poumon économique d’un pays de moins en moins vert.
Avec Fort McMoney, l’idée de marier cinéma documentaire et jeu vidéo, regard d’auteur et liberté du spectateur, a conduit d’emblée tout le projet. C’était vraiment, et notre désir, et notre but. À cela, plusieurs raisons : l’envie d’innover, d’explorer de nouvelles formes de narration et d’impliquer le public. L’avenir du monde se décide autour des questions énergétiques.
Jouer est un levier de prise de conscience
Demain, Fort McMoney sera enfin là, après plus de deux ans et demi de gestation. L’expérience va vous propulser au cœur de la ruée vers l’or noir, et vous proposer d’arpenter la ville, de discuter avec ses habitants, d’interroger patrons de l’industrie pétrolière et militants de l’environnement. L’expérience Fort McMoney sera une sorte de plateforme de démocratie directe à l’heure du web. Le gagnant, s’il y en a un, ce sera ça : la confrontation des idées.
Votre but : prendre le contrôle du plus vaste chantier énergétique de la planète et faire triompher votre vision du monde. Fort McMoney est à la fois un jeu de simulation, un jeu économique et un jeu de gestion. C’est aussi un documentaire en temps réel, avec ses personnages, ses émotions, ses tensions, ses sourires et ses souffrances. En accumulant des points d’influence, vous allez agir sur la ville, en votant à des sondages (trois par semaine) et à un référendum hebdomadaire. Chaque partie de jeu va durer un mois. Inscrivez-vous dès maintenant, vous aurez de l’avance.
Et puis, il y a ça. Un souvenir, tenace. Sur place, au cours des deux hivers de tournage, au-dessus de nous, il se trouvait toujours un ou deux corbeaux, de ces oiseaux de malheur qui pullulent dans la région, bouffant la ville comme les pétrolières bouffent le sol. La question revenait sans cesse : et si la danse de la charogne, ce n’était pas, avant tout, la nôtre ? L’interrogation en appelait d’autres : comment notre soif de pétrole nous a-t-elle conduits à trouver intelligent de devoir dépenser un baril d’énergie pour en produire deux ? Comment notre société peut-elle foncer tête baissée dans cette richesse colossale, immédiate, vertigineuse, mais dévastatrice et sans retour ?
Deux ans plus loin, Fort McMoney est là. Il est à vous. Écrivez le film. Début de la partie : le 25 novembre.