Voir ma hiérarchie souffrir n’est pas pour me déplaire, j’ai un ou deux chefs que je verrais bien exploser en vol, comme du temps de Squarcini, mais je sais où leurs gouttes de sueur vont finir par atterrir. Sur moi, moi qui suis déjà exténué. La « Maison » entière panique : nous en sommes à surveiller plus de mille personnage dans la série ; et autant l’avouer, nous sommes désorientés.
Dans « Anarchy », il n’y a pas de discours. Il n’y a pas de doctrine. Il n’y a pas de programme. Nos repères volent en éclats.
Si on écarte les rêves fatigués de Grand soir, ou de maigre Constituante ; les petits fachos de service et les rares trolls avinés, comme ces punks à chien, autoproclamés « Les Oubliés », qui mettent le feu aux préfectures en hurlant « Les peuples ne devraient pas avoir peur de leurs gouvernements ! Les gouvernements devraient avoir peur du peuple ! », nous n’avons rien. Ce n’est même pas ni droite ni gauche, « Anarchy » ; c’est la notion même d’échiquier politique qui se dérobe sous nos pieds. C’est la France de 2014. Perdue. Larguée. Prête à tout. La France qui se lève tôt et se soulève tard contre ce que Lilou, une infirmière bénévole des Eveillés, ces Indignés du moment (cf. épisode 2), appelle « l’omnipotence de la finance : nous devrions élire des hommes du peuple ; non des hommes des lobbies ».
Les Eveillés, justement. Avec le marasme à venir, les malheureux sont encore plus désemparés que nous. Les voilà qui rentrent sagement dans le rang, comme cette jeune Ingrid qui m’a téléphoné affolée, ou leur chef, Charlito, ancien leader étudiant comme les « Services » savent en fabriquer, qui désormais m’appelle au secours. Lui faire miroiter que Matignon pourrait s’ouvrir à lui, et voici le pauvre âne prêt à tout balancer. Si les punks savaient ça, eux qui barbouillent les murs de Paris avec des slogans du genre : « Envoyez vos mandataires dans un monde de corruption, ne vous étonnez pas qu’ils en sortent corrompus »…
A la réunion de ce matin, j’ai cru que le retournement des Eveillés suffirait à calmer les patrons. Je leur ai cité ce dicton du XIXème Siècle cher au sociologue Christophe Grasset, avec qui ils aiment tant dîner en ville : « Les Français ont le goût de l’ordre et la volupté de l’anarchie . » Ils m’ont regardé, furieux, c’était pas le moment de philosopher. Le téléphone a sonné, c’était l’Intérieur. Hollande et son premier ministre Sarkozy venaient de périr dans un accident d’avion. De retour chez moi après une semaine d’absence, j’ai fait la seule chose qui me restait à faire. Nourrir mon chat avec un morceau de viande ponctionné sur les réserves pour nos indics.
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