To: president@whitehouse.gov From: florent at latrive dot net
Dear Bill Clinton,
Je vous en conjure, ne faiblissez pas dans votre croisade, soyez sans pitié avec ces «saboteurs», ces «vandales» qui s’en sont pris lundi 7 et mardi 8 février aux sites web les plus emblématiques de l’économie de l’Internet, comme Amazon, Yahoo, eBay ou Buy.com. Votre fermeté devrait permettre de nous libérer, enfin, des contraintes du vieux monde. Grâce à vos déclarations sur cette affaire, nous savons maintenant que la «nouvelle économie» marque bien un changement d’univers. Car les pirates (appelons-les ainsi, le mot effraie) ont commis un acte gravissime: ils ont empêché durant plusieurs heures l’activité commerciale des entreprises dominantes du XXIème siècle. Vous le savez parfaitement, dear Bill. Ils ne se sont pas glissés sur les ordinateurs de Yahoo! ou Amazon. Ils n’ont pas détruits de fichiers. Ils n’ont pas volé de numéros de cartes bleus, ni de fichiers confidentiels. Ils n’ont pas détourné d’argent. Ils ont juste saturé l’accès à ces sites en les bombardant de flux d’informations, provoquant un «Denial of Service» (DoS), en jargon. Avec comme conséquence l’interruption temporaire du business, le temps pour les cybermarchands de rédémarrer leurs ordinateurs.
Dans le vieux monde, trop tendre avec ce genre de pratique anti-commerciale, l’attaque n’aurait pas eu le même retentissement. Imaginons un groupe de manifestants massés devant l’entrée d’un magasin, bloquant l’entrée. Ou des milliers de gens qui iraient questionner des vendeurs, sans rien acheter, jusqu’à ce que les employés craquent nerveusement. Pensons aussi aux opérations «verre d’eau», menées par certains syndicats: des dizaines de militants demandent des verres d’eau -gratuits- au serveurs de fast-food, les empêchant de vendre des burgers. En vieille économie, c’est une entrave au commerce, ou une entrave au travail: le commerçant ne peut exercer son activité pendant un temps limité. C’est bien ce qui est arrivé à Amazon, incapable de vendre ses livres, ses disques, ses bijoux, pendant quelques heures. Mais dans le vieux monde, les peines encourues sont ridicules: des amendes, principalement. Éventuellement, un licenciement. Parfois des dommages et intérêts pour compenser la perte commerciale. Et surtout, le vieux monde ne permet pas tous ces glissements sémantiques, ces passages de «vandales» à «saboteurs», de «saboteurs» à «terroristes». Un flou lexical rendu possible grâce à l’ignorance du public et aux fantasmes de la guerre électronique. Avec l’Internet, toutes ces activités tombent sous le coup des lois sur la piraterie informatique, un fourre-tout bien commode qui permet de condamner à de lourdes peines des activités parfois anodines. Les auteurs des attaques sur Amazon et les autres risquent ainsi jusqu’à cinq ans de prison.
Mais, et vous l’avez bien compris, dear Bill, cette affaire vient à point nommé pour muscler encore ce dispositif déjà efficace pour protéger le commerce. Vous avez réuni dans l’urgence des chefs d’entreprises pour simuler la panique, vous avez évoqué la «sécurité nationale», le «cyberterrorisme». Promis d’augmenter les budgets consacrés à la lutte contre la délinquance informatique. Votre ministre de la Justice, Janet Reno, a promis de durcir encore «les lois sur cybercriminalité». Il fut très habile de jouer la confusion, de tout mêler, mélanger, écraser. Et tout aussi habile de nuancer en niant «le Pearl Harbour Electronique», une expression qui suinte trop l’Histoire, et qui risquerait de rappeler aux gens que le passé existe.
Certes, vous avez été épaulé dans votre croisade par le parquet de Hanovre. Car les pirates de eBay et des autres ont utilisés le logiciel Tribal Flood Network, créé par «Mixter», un jeune allemand de 20 ans, pour attaquer. Le parquet a annoncé qu’il compulsait les codes civil et pénal pour tenter de qualifier l’acte de Mixter. Aucune ambigüité: celui-ci doit bien être puni. Mais, au contraire de ce que croient les béotiens, il ne doit pas l’être pour avoir indirectement fourni une arme aux pirates. Mais bien parce que l’inconséquent n’a pas fait commerce de son logiciel. Au contraire des marchands d’armes, par exemple. Ou des nombreuses sociétés qui concoivent des logiciels de sécurité informatique utilisables à la fois par des informaticiens chargés d’assurer la sécurité de leurs ordinateurs et par des hackers éventuels désireux s’introduire dans ces mêmes machines.
Il me reste tout de même un doute. Je ne saurai sans doute jamais si cet épisode exemplaire fut un hasard, si les pirates ont agi en toute indépendance, ou si vous (ou le FBI, la NSA ou une autre agence de renseignements) avez piloté directement cette opportune attaque. Mais peu importe. Seul le résultat final compte. Dear Bill, je vous remercie de nous aider à faire progresser le monde pour le transformer, et placer le commerce au centre de toutes choses. Un dernier conseil: après avoir coupé les têtes des vandales de Yahoo!, je vous suggère de faire de même avec les adolescents qui osent copier des CDs au domicile parental. Ce trafic lourd de conséquences pour l’économie immatérielle est tout aussi inadmissible.
Florent Latrive http://www.freescape.eu.org/eclat/index.html