Je n’ai rien d’un soldat, pour ma part ; les armes, très peu pour moi, je suis un homme d’analyse, je n’ai jamais fait dans l’opérationnel, laissant ça aux collègues de la gâchette. Mais voilà, la population d’Anarchy l’a décidé : la guerre civile, comme un électrochoc, une tabula rasa de trente années de politique clientéliste. Notable comme le mot revient dans les contributions. Clientéliste. Le pouvoir réel devrait lire Anarchy. Ça n’a rien à voir, ou si peu, avec le tous-pourris, et tout avec le sauve-qui-peut.
Mercredi, Kayla (cf. épisode précédent) a finalement accepté mon offre. La pirate, en Condottiere du hacking, et moi, en mercenaire des Services, on allait sauver la France (elle) et la face (moi). Native de La Courneuve, Kayla croyait à l’impossible : lever « l’armée qui dort autour de Paris, comme elle dit. Ses colonnes s’appellent Francs-Moisins, Quatre-Mille, Cosmonautes, Stains, Chanteloup, Grigny ». Kayla me demanda deux choses. Trouver un lieu sûr pour réunir les caïds des quartiers et une garantie : l’aider à infiltrer les bases de données Police-Justice. Pas seulement les casiers ; tout. Je lui a trouvé un hangar sécurisé, derrière les studios de Luc Besson, carrefour Pleyel, et lui ai donné ma parole — sous forme de clé USB chiffrée. Elle a souri. J’aurais l’argent promis.
Devant ses amis, Kayla s’est élancée dans un discours de Résistance, magnifique autant que pathétique, comme l’époque. « Messieurs, dit elle, nous ne sommes pas là pour vous juger ! Après tout il n’y a aucune honte à ne pas respecter les règles d’un jeu auquel on a perdu d’avance. Mais tout change. Nous sommes à l’aube d’une nouvelle France. C’est à vous de décider la place qui vous revient. Vous restez sur votre territoire, avec vos petites combines... Ou vous élargissez votre champ, vous devenez les héros modernes. On redistribue les cartes. On recommence à zéro. Vous entrerez dans le business, le vrai. L’immobilier, les télécoms, l’énergie, ce que vous voudrez. »
J’écoutais l’oratrice, si jeune sous sa peau noire, si troublante sous sa capuche, jouant avec les mots comme avec sa vie. Adepte de Bakounine, Kayla est convaincue que les vrais révolutionnaires se recrutent chez ceux qui « ont été exclus ou n’ont pas encore été englobés dans la discipline de travail industriel ». Elle a ri quand je l’ai mise en garde contre ce Lumpenproletariat des cités qui ne m’inspire aucune confiance. Un souvenir de mes années de socio. « Upian, un marxiste ? On aura tout vu ! s’exclama-t-elle. Tu ne comprends rien ! Ces hommes sont gris et la nuance est un art subtil. Je l’ai appris en regardant le gris des murs de ma cité. »
Moi, tout ce que je veux, c’est mon fric. Il nous reste une semaine. Ses copains pourront nous aider.
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