Derrière la porte verte
Au XXième siècle, la seconde guerre mondiale a marqué une transformation radicale, sans précédent, du statut de l’homme dans le monde.
Le corps humain a été transformé en fumée dans les usines de la mort des camps d’extermination.
Et on a assisté à la transformation de la matière en énergie dans le feu nucléaire. Ce phénomène a signé la fin du matérialisme et le commencement d’une longue chaîne de désintégration mentale.
De ces deux ondes de choc, on subit encore les effets.
Il y a une galaxie noire de la cruauté humaine dans laquelle nous tournons, dansons, étoiles, avant de nous éteindre.
L’homme ne doit jamais perdre de vue que, dès sa naissance, il a été programmé pour disparaître, mourir. La mort reste le trou noir de la vie dans quoi il finira par être aspiré.
Cependant, si nous sommes composés des structures fondamentales, atomes identiques à ceux des étoiles, et que l’univers est bien en expansion, l’homme suit une progression identique, son territoire doit s’agrandir. L’homme est poussé de façon irrésistible à voir plus loin. Il y a une fractalité de l’univers dans l’homme.
A l’échelle humaine, il doit exister une possibilité de trouver une équivalence aux quatre forces régissant l’univers.
De son côté, Dieu, qui « n’a pas besoin d’exister pour avoir des effets », d’une certaine façon, est réel, puisqu’il façonne le réel à travers les hommes.
Dieu est le nom de code d’une molécule secrétée par le cerveau qui stimule la transcendance. Dorénavant, c’est ma quête.
En ce début de XXIième siècle, nous venons de voir naître une nouvelle ère : notre temps est devenu terroriste.
Le 11 septembre 2001, le surréalisme a pris une forme encore plus incroyable que la rencontre d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection. La percussion, l’enchâssement, de deux avions dans les tours jumelles de New York nous a explosé à la gueule. Ce formidable coup d’arrêt signe la fin du temps de l’insouciance occidentale. Un basculement s’est opéré dans les âmes. A tout moment, la mort peut s’inviter n’importe où. Jamais notre vie, livrée à la merci d’une décision arbitraire et mortifère, ne nous a parue si fragile. Un nouveau palier de la réalité réelle a été franchi. Il y a une cicatrice qui ne se refermera pas. Toi, je ne sais pas, mais je ne vois plus de la même façon le soleil du matin qui promet une belle journée, je ne suis plus aveuglé de joie. On sait qu’une boule de feu peut embraser puis noircir le ciel bleu sans qu’un signe précurseur n’annonce la catastrophe. Quand la foudre frappe, les nuages grondent, le tonnerre rugit, le ciel est un couvercle sombre. A Manhattan, il n’y eut ni obscurcissement de la lumière, ni éblouissement. Juste deux masses horizontales qui pénètrent deux masses verticales, alors qu’elles n’auraient jamais dû se rencontrer. Une fusion contre-nature. Un coït crash.
Des tours s’effondrent très vite, et encore plus vite, un gigantesque monochrome de gris envahit les rues. Un déluge de poussière, de pierre et de débris s’abat sur les têtes et dépose partout un épais tapis couleur de cendre. Un monde gris a surgi des décombres. Les couleurs ont été effacées. Les survivants ont des allures de spectres.
Ainsi le terroriste peut changer le cours des choses. Un écrivain l’avait annoncé : Don de Lillo. Le terrorisme modifie aussi l’esprit. Et c’est dans celui du terroriste qu’il faudrait plonger afin de comprendre le processus kamikaze qui mène à la catastrophe. Croit-il au paradis, et que la mort sera la clé qui lui ouvrira ses portes ? Si la réponse est oui, la puissance de sa vision nous dépasse, nous aveugle. Que pourrions-nous opposer à une foi si solide qu’elle balaie la vie comme on écrase un insecte, quel modèle pouvons-nous produire ? Je ne suis pas assez bêtement optimiste pour croire à un changement dans les consciences, peut-être un sursaut, un bref réveil.
Il n’y a pas que des milliers de corps qui gisaient sous les débris des tours jumelles du World Trade Center, c’est un mode de vie que le terrorisme islamiste a enseveli dans un tombeau d’acier, de béton et de verre.
Pourtant, il y a eu des signes annonciateurs. Hollywood avait su montrer l’impensable. Par leur mode de fabrication, les films ( et certaines séries télévisées ) sont les matérialisations de l’inconscient collectif, leurs images sont prémonitoires. De même que les films fantastique et de science-fiction des années 50 mettaient en scène les peurs que suscitait la guerre froide, le danger, dans les films-catastrophe, venu de l’espace et des extra-terrestres, n’est qu’une métaphore de ce qui nous guette ici-bas.
L’écrivain est révélateur des tares, son travail procède de l’émulsion, il fait remonter à la surface ce qui était sous-jacent, opaque, invisible.
Désormais, j’appartiens à un monde spécial, que j’appellerai psychotronique. C’est un monde étrange. ( Al ) truisme : avant d’être psycho, je suis un homme. Un homme d’une espèce particulière.
La grandeur des écrivains est de lutter contre la violence et la Force. L’écrivain doit s’arracher à la pesanteur de la Force. Une des facettes de son travail est d’empêcher que les êtres se transforment en machine broyeuse, en crocodile vorace, ou en hydre cruelle. Quand il décrit l’horreur, c’est pour lutter contre elle.
Toute vie traverse des zones de turbulence. Un livre peut rappeler à l’homme que rien ne l’oblige à devenir un salaud, un zombie ou un assassin. Il a le choix.
Parallèlement à ce temps terroriste ( il est aussi médiatique, distractif, biologique, virtuel... mais cela demanderait de plus amples développements. )
le temps romanesque, tel que je le conçois, est la précipitation du lecteur dans une faille spacio-temporelle préçise et autonome, indépendante des modalités terrestres. Le poids littéraire du roman, sa qualité d’objet unique, doit créer une entaille, la plus profonde possible, de l’ordre du précipice, dans la perception ordinaire du lecteur.
Dans la Chine ancienne, on disait que vingt sages suffisaient à maintenir le monde en équilibre dans les temps de grand désordre. Le rôle du psycho est aussi essentiel, mais lui, c’est un fauteur de troubles, il perturbe le cours des choses, il crée des turbulences, il dérègle le climat émotionnel et intellectuel, il nuit au confort des certitudes.
Un livre réussi a des pouvoirs visionnaires ; le psycho est un médium, il est extra-lucide, il dessine les tendances de l’époque et les modèlise. A ce titre, Kafka, Georges Orwell, Philip K. Dick ont été trois des plus importants écrivains du XXième siècle. Ils ont mis en lumière les processus de la déshumanisation et du totalitarisme.
On devrait écouter davantage les artistes. C’est l’un des rares individus susceptible d’apporter des solutions inattendues et originales, à l’instar de Tim Burton dans Mars Attack quand la voix d’un chanteur de yoddle terrasse les extra-terrestres et les met hors d’état de nuire.
Je crois que les futurs possibles sont tous écrits ou en voie de l’être, ils existent dans les fictions qui exploitent leurs potentiels. L’écrivain creuse des galeries, il explore l’inconnu.
Toutefois le psycho voit aussi la beauté dissimulée dans la face hideuse du monde, dont il tisse les motifs dans sa tapisserie mentale : accidents, monstruosités naturelles, déformations, maladies, quand une tumeur cancéreuse a la pureté des formes et des couleurs d’une fleur, rien n’échappe à son appêtit créatif.
C’est, selon la belle expression de David Lynch, « Un passeport pour un autre monde. »
L’aboutissement du roman mutant, psychotronique, au sens des expériences qu’auraient mené des savants russes sur les manipulations mentales à distance, ( et sur quoi je bosse ) est d’arriver à perturber les signaux chimiques et électriques des neurones au sein du cerveau du créateur et de ses lecteurs.
Le monde réel creuse un abîme entre l’individu et la vie. Toute tentative artistique un peu ambitieuse nécessite une conception de la vie et un dépassement de soi. C’est la sentence que prononça Lester Bangs à l’encontre de Patti Smith, qu’il jugeait indigne de son second disque, Radio Ethiopia, par rapport à son illustre Horses : « Je veux du rock’n’roll comme cette apocalypse de Horses. Qu’est-ce que tu fais après l’apocalypse ? Apocalypse 2 ? Là c’est raté. Alors tu fais quoi ? EH bien tu fermes ta gueule un moment et tu ne reviens que quand tu peux redonner l’apocalypse. » Je ne vais pas m’époumoner en vain à crier raca contre ce monde là. Le livre est une chimère que je crée afin de trouver une conception de la vie qui ne fasse de moi ni un robot ni un bateau ivre.
Mes chimères ne sont jamais aussi insolites et belles que je le souhaiterais. La raison en est simple. Leur assemblage hybride est fragile. Je veux connecter ensemble la nécessité intérieure, la peur, la protestation, la beauté, la critique de la réalité réelle, le sexe, les traumatismes, les déréglements, la folie, le crime...
Le psycho déploie son esprit le long de deux axes mentaux perpendiculaires. L’un est horizontal, l’autre vertical. Quatre directions s’offrent à lui. Il n’y a pas de hiérarchie, elles sont d’égale importance et ne valent que par leur complémentarité. Prises isolément, elles ont un sens mais sont dénuées de vertus, elles ne servent pas à grand-chose. Privé de l’une d’elles, le psycho est mutilé. Son travail sera incomplet. S’il les considère ensemble, son ?uvre sera meilleure. Et plus il ira loin dans ces quatre directions, plus son ?uvre sera accomplie.
L’axe horizontal est celui de l’avoir. C’est les idées que l’esprit peut créer et la masse de celles qu’il peut embrasser, assimiler, synthétiser dans une reformulation personnelle. L’étendue des connaissances qui doit croître jusqu’aux confins de son intelligence, auxquels on finit toujours par se heurter. Il y a des limites. Tôt ou tard. Même la lumière a la sienne.
L’axe vertical est celui de l’être. Le psycho descend dans ses gouffres et fait remonter le maximum d’états, y compris ceux qu’il voudrait ignorer, « les pulsions condamnées par la morale ( ... ) aussi indispensables à l’équilibre et à la survie du vivant qu’est l’homme que les pulsions glorifiées sous le nom de vertus. » ( Nietzsche ) et il gravit dans l’espace, sort par le haut, puise dans le cosmique l’illimité dont son corps le prive. Entre les activités humaines, le ciel, les nuages, l’orage, la foudre, la lune, le soleil, les étoiles, les galaxies, les OVNI, les extra-terrestres, et le plus profond de la matière vivante, dans la double hélice de l’ADN, et le double-serpent de la cosmogonie indienne, il franchit des distances incroyables, dilate l’espace et le temps.
L’inaccessible n’est pas le plus lointain. Des instruments adéquats - les télescopes géants - permettent à l’ ?il de scruter des galaxies situées à des milliers d’années lumière, alors que l’infiniment petit échappe à une vision directe, seules des formules mathématiques arrivent à le décrire. Mais l’ ?il de l’esprit est le plus puissant des microscopes à effet tunnel.
On l’a reconnue, la figure que dessine le psycho est la croix. Ses qualités se situent à l’intersection des deux branches.
Le psycho dispose de 2 moteurs de recherche, 2 pôles de connaissance. La paranoïa et la schizophrénie. L’écrivain déploie ses antennes paranoiaques et schizophréniques. Il en tire des méthodes d’élucidation et de formulation de questions nouvelles, ou de renouvellement des questions anciennes. Enfin sa tâche devient poétique, comprise comme : « La poésie peut être ceci ou cela. Elle ne doit pas forcément être ceci ou cela... Sauf délirante et lucide. » ( R. Desnos )
Je crois que la prolifération galopante des chaînes TV ( généralistes et thématiques), des radios, des téléphones portables, et des ordis (& Internet), qui multiplie les images, les sons et les textes, enveloppe l’homme et le modifie. D’après mon expérience, j’observe un éclatement de l’unité à l’intérieur de l’homme. Ça tiraille de tous les côtés. Il faut accepter ses multiples personnalités, les dénombrer et les identifier. Il y en a au moins trois principales enchâssées l’une dans l’autre, humaine, puis mammifère et enfin reptilienne. Ensuite viennent celles que nous portons ( visibles, entre autres, dans les rêves ) et celles que nous importons ( souvent issus d’autres créations, donc d’autres cerveaux ), parfois fragmentaires, réduits à l’état de bribes de mots quand, au détour d’une phrase, on s’aperçoit qu’on est parlé.
Quant à ceux qui doutent de nos multiples personnalités, qu’ils songent un seul instant à la transformation qu’ils subissent pendant l’acte sexuel.
Et, sous l’ ?il d’une caméra qui enregistre ses réactions, que signifie le geste de réconfort de la mère prenant dans ses bras son enfant qui pleure et dont le visage, toutes les 3 images, exprime un sentiment différent, soit 8 changements en UNE seconde ? Et dans les 3 premières images, on observe à la fois la terreur de l’enfant et la répulsion maternelle.
Les serial killers schizos incarnent le prototype dégradé de la dissociation de personnalité. C’est le syndrôme du Docteur Jekyll et M. Hyde. Hyde n’a rien de bon en lui, il n’est que la part mauvaise, le noyau dur de méchanceté extrait de Jekyll.
L’écrivain est dans l’ ?il du cyclone de la schizo. Par quelle opération de l’esprit crée-t’il ses personnages, si ce n’est en les dissociant de sa personnalité principale ? En tant que créateur de mondes parallèles, il expérimente la démultiplication de personnalités. Anecdotiquement, il peut même se scinder officiellement en publiant sous divers pseudonymes. C’est ainsi que désormais je signerai mes prochains livres sous l’identité de Jan Bangz.
L’approche parano : toutes les forces qui nous entourent ne visent que notre destruction. Le psycho doit s’efforcer de les retourner grâce à l’énergie que dégage cette même parano.
A l’interrogation de P.K. Dick dans « Comment construire un univers qui ne s’effondre pas deux jours plus tard ? », je réponds que mon problème, plus bancal et ordinaire, est de « comment construire une journée qui ne s’effondre pas à la seconde suivante ? » Quelle quantité de réalités puis-je supporter ? Dali savait que les histoires de paranoïa commencent mal, en général, puisqu’un premier Salvador Dali naquit le 12 octobre 1901 et mourut le 1er août 1903. Le second Salvador prit pied sur terre neuf mois plus tard, le 11 mai 1904. L’artiste ne s’en remit jamais vraiment. Quand il suivit le délire d’interprétation d’une de ses voisines à Cadaquès, il inventa la paranoïa-critique pour se défaire de l’ombre encombrante de cet ainé homonyme disparu puis il édifia méthodiquement son délire incessant et obsessionnel : « La différence entre un fou et moi, c’est que je ne suis pas fou. »
Sans modestie, je suis un type du genre de Dali. Dans un monde hostile, mouvant, dérangé et dérangeant, je refuse, comme lui, une aliénation supplémentaire, cigarettes, alcools, drogues, substitus parmi les leurres, je ne me shoote qu’aux seules forces de mon c ?ur et de mon esprit, enfin j’essaie, je résiste aux tentations. L’ivresse cardio-vasculaire, la défonce cérébrale, je ne connais rien de plus fort. Le contrôle, l’imagination, le contrôle de l’imagination, l’imagination du contrôle, voilà le secret.
Pour échapper à la dépression, au désespoir, à la maladie, à la folie ou au suicide, je dois trouver quel(s) type(s) d’expérience(se) me convient. Tester mes limites : faire reculer celles de mon intelligence et de mon imagination. Une aventure, sous sa forme nomade ( et inutile d’aller (très) loin ) ou intérieure. C’est cette dernière que j’ai choisie. Passe par l’invention de son univers, en expansion continuelle, et son exploitation. L’arrêt signe la mort ( comme la répétition... ).
Nous sommes une somme de différences.
Si les lois de la thermodynamique s’appliquent à notre être, il est nécessaire de savoir sur quelles parties de notre cerveau s’étend l’entropie.
C’est l’absence qui est au c ?ur de la plupart des ouvrages publiés...
Alors que doit apporter un véritable écrivain ? Je me réfère à Italo Calvino ( in « La machine littérature » ) : « Dostoïevski et Kafka, deux exemples d’auteur en qui l’autorité de l’écrivain - c’est à dire le pouvoir de transmettre un message qui ne se laisse confondre avec aucun autre, à travers une intonation spécifique du langage et une déformation typique de la personne humaine comme des situations - coïncide avec l’autorité du penseur au plus haut niveau. » et à Nabokov ( in « Littératures/ 1 et 2 » ) : « (...) l’art de voir le monde comme un potentiel de fiction. Le matériau de ce monde peut être bien réel ( pour autant qu’il y ait une réalité ), mais n’existe aucunement en tant qu’intégralité acceptée comme telle : c’est un chaos, et à ce chaos, l’auteur dit : « Va !" et le monde vacille et entre en fusion. »
L’objet-livre apporte sa propre réponse ( qui peut être un questionnement ). C’est un univers à lui seul. L’auteur doit lui assurer sa cohérence interne ; paradoxes et invraisemblances inclus. Un livre n’a pas de comptes à rendre au monde extérieur, ni à refléter un de ses quelconques aspects ( naturaliste, psychologique... ), l’objet-livre n’imite pas la vie, c’est une Sur-Vie.
D’après les rapports que j’ai entretenus avec divers éditeurs, le sort de l’écriture comme activité humaine représentative d’une pensée autonome et originale est préoccupant. Car la machine industrielle du livre vise la disparition de l’écrivain. Ce dernier pose trop de problèmes, il n’est plus nécessaire, ni indispensable. Je suppose que son élimination du processus de fabrication du livre est à l’étude dans le laboratoire d’une multinationale. L’informatique devrait trouver une solution de substitution. Dans un avenir pas très lointain, un logiciel sera en mesure de produire et de calibrer un texte répondant à un minimum de critères de lisibilité. Il suffira de perfectionner le modèle de compilation géante de données qui a permis à l’ordinateur Deep Blue de vaincre le champion d’échecs Kasparov, et de l’adapter à la construction d’un texte. Ces données seront un énorme répertoire d’intrigues - criminelles ou pas - et de personnages. Grâce à un lexique sommaire, les programmeurs créeront autant de simulacres de livres que le permettront les permutations de ces deux systèmes. Ces objets ne présenteront aucune aspérité. Ils seront beaux, lisses et glacés. La lecture en sera facile. Mais quand on en sera là, les lecteurs auront déserté la place. Des artefacts beaucoup plus puissants que des simples mots alignés sur une page auront colonisé les esprits.
C’est prévisible. L’écriture échoue dans la voie sans issue des autres arts, qui sont des espèces en voie de disparition. Réduit à l’état d’épiphénomène de quantité négligeable, le pouvoir de nuisance de l’écrivain sera très faible. Son extinction est proche si on ne réagit pas en déçidant de « produire » des livres forts, que certains qualifieront de difficile. En ce qui me concerne, après avoir écrit trois livres « faciles », j’aurais pu continuer sur une lancée identique, pondre des trucs agréablement troussés et périssables, avec l’arrière-pensée qu’en les alignant au fil des ans, une petite notoriété me sera accordée ( les exemples sont nombreux dans le polar ), j’ai rompu sciemment avec cette mesquine « ambition », et en élaborant « Tout ( ce que je sais ) vient du noir » j’ai voulu ( c’est comme la croyance en Dieu, c’est la volonté qui agit ) frapper un grand coup ; et chaque nouvelle tentative affiche désormais cette volonté.
[?]
L’écrivain est tout à la fois une momie, un vampire psychique, un ogre, un savant fou, un alien et un cyborg, et essentiellement un Elephant man. L’horreur de son temps le pénètre, il l’assimile. Ce qu’il rend visible inspire le dégoût et l’attraction. Pour son malheur intime, le corps difforme d’Elephant man a incarné les tares de son époque. Son horreur physique exhibait l’horreur industrielle. Comme elle, il était monstrueux, il puait, mais, dans son c ?ur, John Merrick l’Elephant man savait qu’il voulait rétablir la beauté et l’harmonie.
J’aurais beaucoup d’autres choses à ajouter mais...
Seuls les morts ont le temps.
« Celui qui ne danse pas ne connaît rien de ce qui se passe. Amen. »
( Actes de Jean )
Messages
31 mars 2003, 16:47, par elmer
Il me semble que l’acte d’écrire se remer au diapason des tourmentes et des mystères de la vie telle qu’elle nous apparaît.
L’irruption du chaotique et de l’aléatoire libère chaque esprit humain de la pesanteur du quotidien, arbre dénudé cachant mal le désert urbain de nos vies vidées de leur contenu.
Nous redécouvrons les griots et autres conteurs avec leur folle mission pour ce qu’elle a longtemps signifié dans les communautés vivantes ; à savoir, la responsabilité de saisir les trajectoires à l’oeuvre sur les sentiers qu’occupent notre identité collective et ses parcelles propres à chaque communauté de destins.
Hélas, alors que ces témoins de la pensée vivante se vautraient entre joies et souffrances dans la multitude, pour se nourrir et faire rejaillir ce qui faisait prendre corps et consistance à ces aglomérats d’homo sapiens, paradoxalement tellement singulier-e-s et conscient-e-s de de la place que leur conférait la naissance en cet astre accueillant, il aura fallu l’éclosion et l’expression d’une nouvelle logique prétendument en-soi appelée bureaucratie, pour que nos vies perdent leur substance jusqu’à menacer d’implosion la « cohésion sociale » ou « nationale », comme on le voudra...
La dénonciation et l’auscultation de l’appareil totalitaire tel qu’il est décliné selon Kafka, Orwell ou K. Dick n’est rien de moins que la dénonciation de l’irruption de la bureaucratie dans notre réalité, « cheval de Troie » du monde spectaculaire-virtuel que l’on nous jette en continu à la figure.
Nous avons été, jusqu’à maintenant, les propres fossoyeurs de nos esprits libres, tels que nos corps se furent retrouvés emprisonnés par le travail salarié. Le présent et l’avenir de l’humanité en ses ensembles se situe dans la question de son émancipation corporelle du capitalisme et spirituelle de la bureaucratie.
Cette question ne peut se présenter que dans ces termes, étant donné l’avancée et le pouvoir que ces systèmes « désincarnés » et « immortels » sont parvenus à s’approprier à nos dépens sur l’ensemble du globe. Toute tentative qui nierait la nécessité de la double transformation interne à l’oeuvre en vue de cette double émancipation se verra exposé à l’échec et à la récupération de l’un des termes pour approfondir la soumission.
Et pour ce faire, n’attendons plus des pseudo-visionnaires qu’ils nous montrent la voie rationnelle nous ramenant sur la Voie du Progrès. L’Humanité ne sera vraiment adulte que lorsqu’elle aura cessé de contraindre sa spontanéité en des théories que le battement d’ailes du papillon peut d’un seul coup anéantir...
Redevenir senti et ressenti, tatonnement et intuition tout en gardant la mémoire et les leçons propres à tous les mythes...