miossec, « boire »

Par yannick bourg, 1996 | 5332 Lectures

Querelle n’est plus, reste le port, Brest : terminus, tout le monde descend. Vide de voyageurs, le quai retient les cris des bidasses avant qu’ils n’aillent se perdre dans le ventre étanche des sous-marins qui les guettent pour les avaler tout crus.

Pourtant, à l’extrême pointe occidentale de la Bretagne, précise Petit Robert, là où vient s’échouer une Europe, vieille fille qui n’en finit pas de s’effilocher, voire d’agoniser dans un de ses coins, une sonnette d’alarme vient d’être tirée. C’est la première fois, mais si on l’a entendue, on n’est pas prêt de l’oublier.

La sonnette, qui n’est pas sirène, a une voix humaine, fragile, et ses mots recouvrent deux guitares, parfois un harmonica, une trompette, un piano, des violons ?

Face au spectre de Brel, le dos tourné à l’Amérique qui n’a plus rien à offrir ni à vendre, contre vents et marées, le mec Miossec crache, secoué par des rafales de hauts-le c ?ur. La tempête fait rage en lui. « Regarde un peu la France », qu’il dit, « Tous ces anciens de l’adolescence / Immobiles devant Pasqua l’horreur » ; enfin, si on se désespérait naguère à Billancourt et aujourd’hui partout, quelqu’un se dévoue, retrousse les manches, tire la langue, règle des comptes. Des cons doivent être sonnés, « On dira merde au bon dieu / et surtout à Jean-paul II ». Il n’y a plus de gants à prendre, exceptés ceux de Mike Tyson. Ah si la bêtise sans frontières pouvait être mise K.O., rétamée à mort une bonne fois pour toutes.

Dans son coin, Miossec s’y emploie. Avec ses mots, terribles comme le furent « Les Rocks Les Plus ? », de l’idole Johnny revisitée dans « La fille à qui je pense » : « Et malgré tout l’amour que tu me donnes / Tu n’en feras jamais assez / Car c’est l’alcool, lui, qui me donne / Les plus beaux rêves que je fais ». Cette lucidité fait tituber. Son auteur ne se prive pas des joies et surtout des peines, de l’ébriété. Il en paye le prix, quitte à s’esquinter, à descendre aux enfers comme l’ami « Gilles », avec « une bouche, un c ?ur, quelques membres / On est tous à louer / De janvier à décembre / Pour quelques années ».

L’homme Miossec revient de loin, d’un autre ring impitoyable. Il a échappé à sa propre correction. On chuchote dans les milieux autorisés, selon des sources bien informées, qu’un temps, jadis, il a tâté du journalisme. Il s’est ressaisi puis s’est replié sur ses bases. A l’ombre turgescente d’un phare, il s’est fait chanteur ivre, comme un certain bateau, et aussi zen à l’occasion, « Que devient ton poing quand tu tends les doigts ».

Là, à l’écart, soutenu par deux complices, Guillaume Jouan et Bruno Leroux, il a relevé la tête sur le pont levant de Recouvrance. Le cuir, les clous, les bottes pointues l’ont toujours fait sourire. La panoplie rockeuse est un vêtement où il se sent à l’étroit, il ne le sent pas. Il trouve ailleurs son bonheur et son malheur, « Si tu connais le désir qui va vite / Et qui dure longtemps / Je voudrais que tu m’y précipites / Du haut d’tes quarante ans ».

Gamin dialectique, ses jambes ont été gainées dans un collant de petit-rat, il connaît donc les ruses des entrechats. L’animal qui sommeille dans le premier venu n’a pas été oublié. On se renifle, l’homme est un chien, la femme une chienne. Ainsi va la vie, il n’est pas rancunier. « Merci pour la joie », mais il conclut : « Merci mais j’te perds ».

Miossec a une de ces faims qu’aucune nourriture ne peut assouvir. Des dents poussées sous la peau lui ronge le foie et le cerveau, et le reste. La douleur va de pair, alors, encore une fois, « Sur mon désir, sur tes promesses / Crachons veux-tu bien ».

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