« Personne ne sortira d’ici sans payer ! »

Par David Dufresne, 15 août 2004 | 105 Lectures

Retour de vacances. Et, toujours, cette phrase obsédante lue dans la presse début août. La scène se déroule dans un supermarché d’Asunción au Paraguay. Le centre commercial est en feu. Partout, on crie. On fuit. On tente la vie. Et puis, les vigiles s’interposent, bloquent les accés et hurlent : « Fermez ! Fermez ! Personne ne sortira d’ici sans payer ! ». Bilan : 369 mort, dont au moins une quarantaine d’enfants, 409 blessés, dont 116 enfants et adolescents.

Lu dans Libé, le Journal de la semaine de Grégoire Bouillier et, pour une fois, l’exercice de style sort du gnan-gnan habituel. L’écrivain y donne une jolie définition de l’actualité : « Ce matin je referme le journal (...) et c’est comme une punition, c’est le mot, pour je ne sais quelle raison je me sens puni, pour je ne sais quelle faute, je ne sais pas, cela ne vient pas des nouvelles, non, le monde est aussi hilarant aujourd’hui qu’hier, il s’agit d’autre chose, de plus grave, plus intime, d’un manque. J’ai alors songé à Bartleby. On connaît peut-être cette nouvelle de Melville : l’histoire d’un employé de bureau qui, un beau jour, refuse de faire le travail qu’on lui demande, au prétexte qu’il « préfère ne pas ». Face à l’ordre social, il oppose un refus aussi obstiné que poli. Un refus radical puisque sans revendication ni justification. Il « préfère ne pas », c’est tout. Eh bien, ai-je songé, si un Bartleby venait à refuser de faire son boulot à Paris, à New York ou à Bagdad, aucun journal n’en parlerait, impossible, pour une raison simple : les médias ne rendent compte que de ce qui a lieu ; or, tout refus produit par définition un non-événement. Pour que la presse (et je ne parle pas de la télé) s’empare des Bartleby qui, vaille que vaille, « préfèrent ne pas » là où ils sont, il faut qu’ils aient été licenciés, ou arrêtés par la police, ou lynchés par leurs collègues, ou se soient suicidés, etc. Bref, que leur tentative ait pris fin. Et voilà bien ce qui me serre le coeur ce matin : dans les médias, le sujet de l’histoire n’est jamais Bartleby, mais ce qui le nie et le broie. Jamais l’actualité ne s’adresse au Bartleby qui est en nous ; au contraire, elle informe en permanence de sa défaite. Dans tous les sens, elle nous l’apprend. »

Les vigiles d’Asunción, eux, furent trés obéissants. Irai-je bosser demain ?

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Messages

  • ouais ;
    je « préfère ne pas »
    & devrais-je écrire
    « préfèrerais ne pas » ?
    les chiens aboient,
    la caravane passera,
    quand même ?

    amicalement,
    bituur esztreym
    assez down
    ces jours-ci

    Melville, Musil.. &tc...

    on en est où, putain ?

blogger|fcuker

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