On a parfois l’impression que les débats et les idées au fils des événements autour des nouvelles écritures reviennent un peu en boucle : comment on engage l’audience ? Comment on crée une communauté ? Comment on monétise son audience ?… Est ce que l’on avance ou bien est ce que l’on radote un peu dans les nouvelles écritures ?
On est en partie en train de radoter… Et c’est normal. De plus en plus de monde nous rejoint sur les événements du secteur. Des gens pour qui l’univers des nouvelles écritures est encore complètement inconnu. Nous passons donc du temps à expliquer, et à revisiter ce qui est pour nous devenu des classiques ces dernières années.
Mais ces nouvelles personnes sont des gens de la télévision, des institutions, des personnalités qui ont un pouvoir et des moyens financiers. Et donc la question qui désormais doit nous interpeller c’est : ces gens vont-ils imposer leur ancien modèle et format ? Ou bien vont-ils comprendre qu’il s’agit ici d’une autre façon de travailler, de collaborer, d’envisager la création, la diffusion, le rapport à l’audience… il y a donc ici une sorte de bataille. Donc ce sentiment de radotage, il est nécessaire et légitime même ! On sent émerger dans notre secteur une forme de formatage. On retrouve des projets qui tentent de se calquer sur des recettes qui ont déjà marché. Moi je n’ai pas envie de réfléchir en terme de format ou de cases à remplir, mais en terme d’oeuvre singulière. J’ai un point de vue d’auteur. Je défends le documentaire de création. Une interprétation artistique du réel. Je peux comprendre que ce point de vue ne soit pas partagé dans la publicité ou le marketing. J’aimerais en revanche que la fiction se défende plus.
Mais quand on veut défendre un projet, une vision d’auteur, les sources de financement sont assez maigres. En France, derrière les trois acteurs principaux que sont France TV, Arte et le CNC, c’est quasi impossible de prétendre développer des projets nouvelles écritures ambitieux.
C’est vrai. Mais c’est le paysage du documentaire de création d’auteur depuis vingt ans. Ce constat, il reste le même depuis vingt ans lorsque l’on regarde la production des oeuvres documentaires d’auteur. Sans le service public, c’est à dire sans Arte et sans France Télévision, il est difficile de financer ce type de projet.
Mais cela ne veut pas dire que l’on ne peut rien faire. Il y a de plus en plus en région des bourses qui proposent des aides à l’écriture. Et bien entendu il y a aussi les aides du CNC. Même s’il est compliqué ensuite de transformer l’essai avec des soutiens à la production.
Mais c’est aussi notre responsabilité d’auteurs et de producteurs de trouver de nouveaux modèles économiques pour nos projets et de mieux réfléchir à la pérennisation de nos métiers. Par exemple, au Canada, où je suis installé, le fond média demande à tous les dossiers déposés de démontrer que le projet est pertinent ou innovant économiquement.
Ensuite il y a les groupes privés de télévision. Ils ne souhaitent pas prendre de risques dans le domaine des nouvelles écritures. Pour la bonne raison que c’est un terrain d’expérimentation et qu’ils n’y voient pas d’argent à court terme. On parle là bien entendu de Canal Plus, M6 et TF1. Mais ce sont de toute manière des acteurs dont nous n’avons rien à attendre et qui ont abandonné depuis bien longtemps toute idée de travailler avec l’intelligence.
C’est pourquoi j’aime dire que nous devons créer nos zones d’autonomies temporaires. Nos propres chemins de survie pour demain.
Enfin, il est vrai que les couts des productions web ont aussi explosé. Désormais il faut penser un développement à la fois pour tablette, smartphone, Android, Iphone… Pour atteindre une audience suffisante il faut mettre en place des coproductions internationales et donc penser multilingue… Ces facteurs augmentent les coûts. Mais il y a encore des exemples extraordinaires, comme Les Mystères de Grimouville. Ce sont deux gamins qui ont fait ce projet. Ils ont réalisé un crowdfunding et ils sont allez au bout de leur aventure. Il y a quand même des choses qui sont possibles. Refusons le discours défaitiste et pessimiste !
Tu n’as jamais réalisé de crowdfunding. Est-ce parce que tu as eu les moyens de faire tes projets sans cela ?…
Non mais attendez les gars, à chaque fois c’est une lutte acharnée pour arriver à faire aboutir un projet ! Fort Mc Money, c’est deux ans de travail, dont les six premiers mois à plein temps sans être payé. C’était un pari. Nous y avons cru et nous avons pris des risques, comme un producteur à l’ancienne !
En revanche pour mon prochain projet, avec Alexandre Brachet (Upian) nous envisageons de mettre en place un crowdfunding. Ce peut être une formidable expérience narrative un crowdfunding !
D’autre part, il nous faut aussi travailler sur les questions de micro-paiement. C’est la seule chose pour laquelle nous pouvons dire merci à Apple, car pour le reste ce sont quand même des gens qui brident l’informatique. Apple nous a réhabitué au micro paiement avec ses stores. Je suis convaincu que des projets comme Jeu d’Influences, Fort Mc Money ou Do Not track, auraient pu tout à fait trouver un public prêt à payer pour quelques euros une formule freemium. Je suis tout à fait à l’aise avec cela. Pourquoi n’avons nous toujours pas intégré de boutons payPal ? Je m’interroge. Quand j’ai participé à la création de Médiapart, nous faisions partie de ces gens qui affirmaient que même si l’information est gratuite, elle a tout de même un coût.
Lors de ta première conférence de la journée aux Cross Vidéos Days, tu expliquais que nous devrions nous réjouir de voir l’audience se fragmenter. Tu peux nous en dire un peu plus ?
Moi je viens du punk-rock et du milieu des fanzines. C’était il y a trente ans. Et à l’époque je militais pour une expression de tous. Je préférais voir 50 fanzines qui vendaient 1.000 exemplaires, plutôt qu’un seul journal comme Rock n’ Folk qui en vendait 50.000. La fragmentation de l’audience est une chance pour la création. Vouloir parler au plus grand nombre au même moment était une belle idée à la base. Mais cela appartient au passé. Cette belle idée… on en a fait de la merde ! Quand on est moins nombreux, on est moins dans le compromis. On s’autorise à être plus dans l’œuvre, dans la vision d’un auteur. On est aussi plus dans la recherche et développement, dans le droit à l’erreur. Il y a moins d’enjeux financiers, plus de souplesse, et moins de gens pour nous expliquer ce qui est bien ou pas. Je n’aime pas le terme de « niche », j’ai l’impression que l’on parle de nous comme des chiens. Mais ce phénomène n’est pas une menace, au contraire, il libère la création.
Enfin de toute façon, le pli est pris. La génération après la notre n’est pas biberonnée au média de masse ou à une presse nationale. Ca c’est fini, c’est mort, c’est réglé ! Il suffit de voir l’érosion des ventes du Figaro, du Monde, des télévisions, etc. Maintenant il y a le raz de marée du web. Grâce au web, nous n’avons jamais été aussi créatif.
Mais il y a aussi un risque du coup que chacun s’enferme dans sa bulle. Lorsque nous étions devant nos médias de masses, au moins nous avions tous un point commun. L’ouvrier comme le patron y trouvait une base de référent commun…
Oui ça c’est une vraie menace en effet. Mais depuis 20 ans, il n’y a plus que le patron que l’on entend à la TV. J’ai travaillé dans des rédactions de chaines d’information en continue. Et vraiment le plus grand moment de mascarade et de fiction totale c’est bien le journal de 20h ! Donc oui c’est vrai nous n’avons plus ces grands rendez-vous au quotidien qui nous rassemblaient le temps d’une émission tv. Mais là on touche à un problème bien plus large. Un problème politique. Nous touchons là à la crise de démocratie participative qui touche notamment la France. Mais ne soyons pas défaitiste. Profitons de cette période pour inventer de nouveaux fronts de réflexions et de discussions.
On a commencé notre échange en parlant nouvelles écritures et nous voilà maintenant à parler politique et démocratie…
Mais lorsque l’on parle d’écriture, on parle de langage, de mot, de regards, donc oui on parle politique ! Et c’est pour cela que c’est important pour moi de venir au Cross Vidéo Days et d’y porter une voix qui ne soit pas que produit, technologie, mise en marché… Ces choses là font partie du quotidien. Mais à mon sens, si ces choses là nous dominent, alors on est mort !