Saint-Ouen l’Aumône, le 4/9/20 : avant-première de « Un pays qui se tient sage »

Par Cinéma Utopia, 27 août 2020 | 1061 Lectures

Le mot de l’organisateur

Cette soirée est dédiée à la mémoire de Zineb Redouane, octogénaire tuée à sa fenètre par une grenade lacrymogène le 2 décembre 2018 et à celle de Steve Maia Caniço, noyé dans la Loire après une charge policière.

« Môme ! On ne dit pas les sergents de ville, on dit les cognes ! » (Victor Hugo, Les Misérables, 1862)

« Ce sont eux qui donnent dans les grandes occasions et font les grosses besognes, aussi la population, qui les appelle les cognes, n’entretient-elle pas toujours avec eux des rapports empreints d’une cordialité irréprochable. » (Maxime Du Camp, Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie, 1875)

« Cogne », mot d’argot qui désigne depuis le xviiiᵉ siècle un gendarme ou un policier, vient bien évidemment de « cogner ». On le voit, ce n’est donc pas d’hier que les rapports du Peuple français et de la (nécessaire) force publique – sensément « instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée » (nous dit la déclaration des droits de l’homme de 1789) – sont compliqués, voire tendus. Pour le moins. Journaliste indépendant, observateur attentif et intransigeant de la vie publique (on lui doit de formidables enquêtes, livres et web-documentaires sur Tarnac, sur le système carcéral américain, sur Pigalle…), David Dufresne s’est fait remarquer très tôt au début de la lutte des Gilets jaunes, en créant le projet Allô, place Beauvau ? : une tentative de répertorier de façon la plus exhaustive possible les violences policières qui lui remontaient de toute la France. Un travail de fourmi, passionnant et édifiant, qui a fait instantanément de lui la bête noire des responsables et acteurs du maintien de l’ordre. Il en a fait la matière d’un livre, mi-roman mi-enquête, Dernière sommation, et donc de ce film documentaire saisissant. Le dispositif du film est à la fois simple et rigoureux : sur un écran de cinéma sont projetées des images de manifestations et de leur répression par les forces de police – images brutes, face auxquelles réagissent divers intervenants. Des images dures, crues, bouleversantes, souvent filmées par les victimes elles mêmes, des personnes de leur entourage ou des militants, qui battent en brèche la thèse officielle, la fable diront certains, selon laquelle il n’y aurait de la part des forces de l’ordre qu’un « usage proportionné de la violence », en rapport avec les agressions dont les premières victimes sont les policiers.

Mais au-delà de l’émotion, la force du film de Dufresne est de poser, avec l’aide d’historiens, de sociologues, de spécialistes du droit, et de policiers les questions fondamentales de la légitimité de l’usage de la violence par les forces de l’ordre. Le film s’ouvre sur la phrase de Max Weber : « Un État est une communauté humaine qui revendique le monopole de l’usage légitime de la force physique sur un territoire donné », une phrase, souvent citée et détournée de son sens initial pour légitimer les violences policières, autour de laquelle s’articule le film. Avec des écrivains comme Alain Damasio ou des historiennes comme Ludivine Bantigny, il est rappelé que toute la subtilité tient dans le mot « revendique ». Qui peut revendiquer la légitimité de la violence ? A fortiori dès lors que le pouvoir est de moins en moins accepté par toute une catégorie sociale qui ne s’y retrouve plus. David Dufresne a l’intelligence de donner la parole à un un général de gendarmerie et à deux syndicalistes policiers, ce qui occasionne de passionnants échanges avec l’historienne Ludivine Bantigny ou avec le journaliste Taha Bouhafs, à l’origine des révélations de l’affaire Benalla.

Au-delà des Gilets jaunes, David Dufresne décrypte plus globalement un système qui fait que la violence policière s’exerce principalement sur les habitants des quartiers populaires. Et cite en premier lieu – c’est évidemment ce triste épisode qui donne son titre à son film d’utilité publique – les images édifiantes des lycéens de Mantes la Jolie, contraints de s’agenouiller tandis qu’un policier goguenard les filme et s’exclame : « Voilà une classe qui se tient sage ! ». C’est clair, net – et, si l’on ose dire, sans bavure.

La bande annonce :

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Lille, 31/8/20 : avant-première d’« Un pays qui se tient sage »

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