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#Tarnac, quand l’anti-terrorisme, les fiches S, l’État d’urgence et tout le bordel ne vous quittent jamais...

By David Dufresne, 6 February 2015 | 7830 Visits

Mon vol depuis Athènes, où j’ai eu le plaisir d’assister au premier “reproducible world summit”, s’est posé à l’heure à Paris (CDG). Pendant que les passagers récupéraient leurs sacs et mettaient leur manteau, un membre du personnel de cabine annonça qu’un contrôle de police aurait lieu à l’extérieur de l’avion, et que nous devions préparer nos pièces d’identité. Mon siège se trouvait à l’arrière de l’avion, ce qui me laissa le temps d’attendre dans le froid de la passerelle, alors que tous les passagers étaient contrôlés les uns après les autres.

Trois policiers étaient installés juste à l’entrée du terminal. L’un d’entre eux prenait les cartes d’identité et passeports, et contrôlait le visage des passagers. Il passait ensuite le document à un autre policier, face à une valise qui semblait contenir un scanneur et un ordinateur. Le troisième se contentait de se tenir contre le mur et d’observer la scène. Lorsque ce fut mon tour, après avoir scanné ma pièce d’identité, la policière eut ce geste aimable de tendre vers moi sa main qui tenait mon passeport—comme elle venait de le faire des centaines de fois —, juste avant de le récupérer lorsque le résultat apparut à l’écran.

dangereux activiste politique

J’ai eu la confirmation que j’étais bien enregistré comme un dangereux activiste politique en 2012, lorsque David Dufresne publia Magasin Général. Un rapport des services du renseignement intérieur de 2008 avait été révélé pour promouvoir ce livre. Mon nom n’avait pas été correctement expurgé dans la toute première version, qui fut publiée en ligne, et il a été associé à un espace politique autogéré à Dijon. Quelques programmeurs du projet Debian avaient eu le plaisir de visiter cet espace en 2005, 2006, 2007. Le rapport était rempli d’erreurs, comme souvent le sont les rapports de police, ce qui ne me donne pas envie de le commenter.

le mieux est d’en dire le moins possible

La bonne nouvelle est que depuis j’ai arrêté d’être paranoïaque. Je savais, et j’ai pu en conséquence prendre les précautions appropriées. Comme à chaque fois que je dois m’approcher d’un aéroport, tous mes appareils électroniques (chiffrés) étaient éteints. Je m’étais rasé quelques heures auparavant. Je connaissais un avocat prêt à me représenter. J’étais pleinement conscient que le mieux est d’en dire le moins possible.

Même si cela faisait un moment depuis que j’avais eu une si flagrante confirmation que j’étais encore fiché comme anarchiste, cela ne fut cependant pas une surprise. Une fois que vous y êtes, il n’y a pas moyen d’en sortir.

— Je suis programmeur.

Il m’a ensuite été demandé de m’écarter pendant qu’ils contrôlaient le reste des passagers. J’ai posé mon sac à dos et me suis adossé au mur. Lorsqu’ils eurent terminé, un des policiers me demanda de le suivre. Nous avons traversé quelques couloirs jusqu’au bureau de la police aux frontières. Pendant que nous marchions, ils me posèrent une série de questions. Je ne mentionne pas les pauses entre celles-ci, mais voilà ce dont je me souviens :

— Avez-vous une connexion ?
— Non.
— Allez-vous à Paris ?
— Chez mes parents en banlieue.
— Combien de temps êtes-vous resté en Grèce ?
— 5 jours.
— Tournant les pages de mon passeport Et vous êtes revenu des Etats-Unis en février 2015 ?
— Non, il s’agit du délai maximum de séjour. J’étais là-bas en août 2014.
— Pourquoi vous êtes-vous rendu en Grèce ? Pour les vacances ?
— Pour le travail. J’étais à une réunion.
— Que faites-vous ?
— Du logiciel libre.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Je suis programmeur.
— Oh, les ordinateurs.
— Oui.
— Est-ce la raison aussi de votre séjour aux Etats-Unis ?
— Oui, c’était pour une autre conférence.
— Et alors vous voyagez à cause de cela. C’est sympa.
— …
— Etes-vous un indépendant ?
— Je travaille avec une coopérative, mais oui.

— Il a une fiche.

Le policier a aussi dit qu’ils devaient effectuer quelques simples vérifications, et qu’ils me laisseraient ensuite partir, comme j’étais de retour. Je n’ai pas fait confiance à ces propos, mais je n’ai rien dit.

Lorsqu’ensuite nous avons passé par une porte, que le policier dut déverrouiller avec son badge, il m’a été demandé de m’asseoir sur une chaise dans le couloir, entre deux bureaux (d’après ce que je voyais). Je pouvais entendre un policier expliquer la situation à un autre : “— Il a une fiche.—Ah, une fiche.” Ils semblaient assez perplexes que je ne fusse pas contrôlé lors de mon départ Lundi.

Après quelques minutes, un autre agent vint me demander ma carte d’embarquement. Quelques minutes encore plus tard, il revint me demander si mon adresse sur mon passeport était encore valide. Je répondis “non”. Ils me donnèrent un bout de papier afin de leur fournir mon adresse actuelle, mon numéro de téléphone et mon adresse électronique. Comme ces informations sont facilement trouvables, j’ai pensé qu’il était plus simple d’obtempérer. Je leur donnai mon adresse @irq7.fr que j’utilise auprès des administrations publiques. Quand le policier la découvrit, il demanda :

— Qu’est-ce que c’est ?
— Je ne comprends pas.
— Est-ce votre entreprise ?
— C’est une organisation à but non lucratif.

Il me rendit mon passeport et m’indiqua la sortie.

(Je vais vous épargner les détails de la discussion, que j’ai entendue alors que j’attendais entre deux policiers, à propos du goût de l’un pour le modélisme d’armes militaires utilisées durant les guerres contre le communisme du fait de ses origines ; il était agacé par cette putain d’Europe qui interdisait certaines peintures (toxiques) auxquelles il était habitué.)

D’après ce que j’ai pu comprendre des événements, ils ont passé un appel, et il ne leur a été demandé par les renseignements que de mettre à jour les données personnelles me concernant.

Je ne le sais pas, mais je me demande si tous les autres passagers ont aussi été contrôlés du fait de ma présence sur ce vol.

Dans l’ensemble, cela n’a pas pris tant de temps : une heure après avoir quitté l’avion, j’étais sur le quai du RER. Les policiers sont restés polis tout le temps. Je suis un privilégié : citoyen français, blanc, capable de parler français avec un ton professoral. Je suis sûr que ça ne se serait pas si bien passé si je portais une longue barbe ou une djellaba.

J’ai pris le temps de documenter cela parce que je sais que trop de gens pensent que ce que fait le gouvernement français ne les concerne pas. Au contraire, cela les concerne. Cela fait quelques années maintenant que la lutte antiterroriste est un moyen pour les gouvernements de surveiller les populations. Mais nous atteignons maintenant un tout autre niveau. Nous parlons de policiers conservant leurs armes en dehors de leur service, de perquisitions à n’importe quelle heure sans le contrôle d’un juge, et du gouvernement qui veut changer la constitution pour rendre l’“état d’urgence” permanent. Nous avons pu constater tant d’abus ces deux dernières semaines. Cela ne va pas s’arranger. Pendant ce temps, au lieu de se demander pourquoi ces jeunes gens sont prêts à assassiner, prêts à se suicider, les officiels préfèrent larguer des bombes. Ce qui va certainement empêcher des individus prêts à mourir de faire usage de tactiques suicidaires, n’est-ce pas ?

Nous sommes à l’aube d’une crise environnementale qui mettra fin à l’humanité. Chaque être humain sur cette planète est concerné. Certains sont roués de coups lorsqu’ils manifestent pour presser les gouvernements de faire quelque chose quant à cette situation. Nous devons nous unir et résister. Et oui, nous allons souffrir, mais la liberté n’est pas gratuite."

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